Et la science créa un virus mutant H5N1

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Mounia Van de Casteele
Un article sur la création de ce virus a été publié après une polémique sur les risques bio-terroristes.

Faut-il publier les dernières découvertes scientifiques au nom de l'avancée de la recherche, ou faut-il au contraire s'en prémunir, afin d'éviter tout détournement malveillant ? Tel était le dilemme du Bureau national américain de la science pour la biosécurité. Et pour cause, le comité était confronté à une découverte inédite d'envergure mondiale : la création d'un virus mutant de la grippe aviaire H5N1 transmissible d'homme à homme. Mais il en a finalement autorisé la publication.

La revue britannique Science a ainsi diffusé, mercredi, les résultats de l'expérience, dirigée par Yoshihiro Kawaoka de l'Université du Wisconsin. Quant à l'autre article, du Professeur Ron Fouchier du centre médical Erasmus de Rotterdam, il est en cours de "révision" avant publication dans le même magazine.

"Les éléments scientifiques essentiels" du manuscrit original "n'ont pas été modifiés", a spécifié la revue Nature qui précise s'être entourée pour cette publication de plusieurs avis en matière de biosécurité.

"Grippe aviaire et grippe porcine"

Pour réaliser leurs travaux, les scientifiques ont d'abord rendu le virus H5N1 plus compatible avec les cellules du système respiratoire humain. Les chercheurs ont ensuite utilisé le virus de la grippe porcine H1N1, qui avait causé une pandémie en 2009, pour créer un "hybride H5/H1".

Puis, ce mutant a été testé sur six furets, un mammifère couramment utilisé dans les laboratoires de recherche en virologie pour leur proximité avec l'homme en matière de système respiratoire. Et les furets infectés ont transmis le virus par voie aérienne à d'autres furets. Mais aucun d'eux n'en sont morts.

"Les bénéfices dépassent les risques"

De tels travaux mettent en lumière les mécanismes d'emprunts génétiques qui permettent à un virus de gagner en transmissibilité, selon ces chercheurs.

La revue accompagne l'article d'un rapport d'une agence de bio-sécurité "non américaine" selon lequel les bénéfices d'une telle publication dépassent les risques liés à une utilisation malveillante. "Ne pas publier cette information ralentirait ou même bloquerait le développement de vaccins contre un virus qui a encore la capacité à muter naturellement vers une forme pandémique" explique le rapport. Ce qui met fin à toute controverse.

Censure ?

Une polémique s'était déclenchée fin 2011. Deux équipes de chercheurs, l'une américaine et l'autre néerlandaise, avaient alors annoncé avoir créé des mutations du virus H5N1, capables de se transmettre facilement entre mammifères et potentiellement entre êtres humains. Une première scientifique.

A la base, le virus H5N1 se transmet difficilement entre êtres humains. Et pour cause, il est essentiellement présent parmi la volaille d'élevage et les oiseaux sauvages. C'est pourquoi, bien que très dangereux pour l'homme, avec un taux de mortalité de 60%, il n'a fait que 350 morts depuis son apparition en 2003.

Le but de ces recherches, financées par les Instituts nationaux américains de la santé (NIH), était donc de comprendre si ce virus pouvait muter en une version capable de se transmettre facilement par voie aérienne entre humains.

Mais en novembre, le Bureau national américain de la science pour la biosécurité (NSABB) avait demandé à la revue américaine Science et à la revue britannique Nature de ne pas publier les résultats de ces travaux, évoquant le risque de bioterrorisme. Des scientifiques avaient alors qualifié cette décision de "censure".

En mars, après de nouvelles évaluations, le NSABB avait finalement autorisé la publication de ces études, estimant que "les données" ne semblaient pas "fournir d'informations qui permettraient une utilisation nuisible (...) au point de mettre en danger la santé publique ni la sécurité nationale".