Coup d'Etat ou pas : que se passe-t-il au Zimbabwe ?

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Mercredi matin, les blindés de l'armée bloquaient l'accès de plusieurs points stratégiques de la capitale Harare. © JEKESAI NJIKIZANA / AFP
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Mercredi, l'armée a pris le contrôle de plusieurs points stratégiques de la capitale Harare mais dément avoir commis un coup d'Etat. 

Des chars blindés, des explosions… depuis mardi, la capitale du Zimbabwe, Harare, est le théâtre d'actions militaires. L'armée l'a pourtant assuré dans un message diffusé dans la nuit de mardi à mercredi : il n'y a pas eu de coup d'Etat contre le dictateur au pouvoir, Robert Mugabe. Mais le récent renvoi du vice-président, les manoeuvres de Grace Mugabe, l'épouse du chef de l'Etat, et les menaces proférées lundi par l'armée interrogent. Le règne de Robert Mugabe, au pouvoir depuis 37 ans, pourrait-il bientôt prendre fin ? Décryptage.

Une intervention militaire en trois actes

Acte I, une colonne de chars en approche. Mardi, une colonne de chars a été vue près de Harare par plusieurs témoins. "J'ai vu un long convoi de véhicules militaires, dont des chars, il y a environ une heure. Je ne sais pas dans quelle direction ils allaient", a par exemple déclaré sous couvert de l'anonymat une vendeuse près du centre commercial Westgate, à environ 10 km du centre d'Harare.

Acte II, l'armée entre dans la capitale. Dans la nuit de mardi à mercredi, les événements se sont accélérés. Des explosions et des échanges de tirs ont été entendus près de la résidence privée du président Robert Mugabe. "Peu après 2h du matin (1h du matin en France), nous avons entendu environ 30 à 40 coups de feu tirés pendant trois à quatre minutes en provenance de sa maison", a ainsi affirmé un témoin, résidant dans le quartier.

Acte III, des barrages de blindés. Mercredi matin, des soldats et des véhicules blindés bloquaient l'accès aux principaux bureaux gouvernementaux, au Parlement et au tribunal de la capitale. Les militaires ont procédé aussi à une arrestation : celle du ministre des Finances, Ignatius Chombo, l'un des plus proches alliés de Grace Mugabe, la femme du président qui voudrait succéder à son mari.

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"Ceci n'est pas un coup d'Etat militaire"

Dans la nuit de mardi à mercredi, les militaires ont tenu à clarifier la situation en prenant la parole sur la télévision nationale. "Ceci n'est pas un coup d'Etat militaire", a affirmé le général Sibusiso Moyo. "Le président de la République du Zimbabwe, Robert Mugabe, ainsi que sa famille sont sains et saufs, leur sécurité est garantie", précise-t-il. Seuls "les criminels qui l'entourent" sont dans le viseur des militaires. La situation redeviendra "normale" quand "nous aurons accompli notre mission", assure le général Moyo.

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Un renvoi et des menaces

Le dauphin désavoué. A l'origine de cette action militaire, il faut remonter au 6 novembre dernier. Ce jour-là, Robert Mugabe, à la tête du Zimbabwe depuis 37 ans, a limogé son vice-président, Emmerson Mnangagwa. Ce dernier, âgé de 75 ans et héros de la lutte pour l'indépendance du pays en 1980, a longtemps été considéré  comme le dauphin du "Mudhara" (le "vieux" en langue Shona, l'ethnie majoritaire du pays). Emmerson Mnangagwa a aussi été renvoyé du parti de Mugabe, la Zanu-PF, où cet ancien patron des renseignements entretenait ses propres réseaux.

Grace Mugabe, une action en coulisses ? Cette élimination du favori, parti se réfugier en Chine depuis, ouvre clairement la voie au pouvoir à Grace Mugabe, 50 ans, l'épouse du dictateur depuis 1996. La guerre couvait en effet entre le vice-président et la première dame depuis plusieurs mois. Elle avait notamment réussi en octobre dernier à le priver de son portefeuille du ministère de la Justice.

Samedi dernier, lors d'un meeting, Robert Mugabe a donné un indice clair, ne laissant guère de doute sur le possible successeur de Mnangagwa : il a avancé l'idée de nommer une femme au poste vacant. Une hypothèse repris par Grace Mugabe en personne. Prenant le micro, elle a lancé à la foule : "je dis à M. Mugabe : n’ayez pas peur. Si vous voulez me donner votre poste, donnez-le moi librement !"

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L'armée avait dénoncé "une purge". La marche au pouvoir de Grace Mugabe vers la vice-présidence, voir la présidence tout court, a donc rencontré une résistance de la part des militaires. Dans une mise en garde sans précédent, le chef de l'armée, le général Constantino Chiwenga, a dénoncé dès lundi l'éviction du vice-président. Il y prévenait que l'armée pourrait "intervenir" si cette "purge" ne cessait pas au sein de la Zanu-PF.

"La purge actuelle qui vise clairement les membres du parti qui ont été engagés dans la guerre d'indépendance doit cesser. Nous devons rappeler à ceux qui sont derrière ces dangereuses manigances que lorsqu'il s'agit de protéger notre révolution, l'armée n'hésitera pas à intervenir", a martelé lundi le général Chiwenga. Une déclaration qui semble viser les efforts déployés par Grace Mugabe pour prendre la tête du pays mais aussi le "G40", le groupe regroupant ses soutiens, des quinquas enrichis de la Zanu-PF. Le ministre des Finances, Ignatius Chombo, arrêté mercredi, en fait partie.

Mugabe, 37 ans de pouvoir sans partage. Robert Mugabe a fêté en février dernier ses 93 ans… un anniversaire faisant de lui le plus vieux chef d'Etat du monde. Le dictateur implacable a pourtant un passé de héros. Jeune, il a en effet passé 10 ans en prison pour avoir voulu libérer les siens avant de se battre pour la Rhodésie alors colonie anglaise. Chef de guérilla pendant plusieurs années, il finit par apporter l'indépendance au Zimbabwe en 1980. S'il promettait au début la prospérité, aujourd'hui, le pays est un des plus pauvres du monde avec 80% de chômeurs, un salaire moyen de 2 dollars par jour, une espérance de vie de 44 ans et une situation sanitaire catastrophique, entre sida et choléra.