Catherine Ashton, cinq ans de discrétion à la diplomatie européenne

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Après cinq ans à la tête de la diplomatie européenne, "l’absente", "l’inaudible" Catherine Ashton va céder son siège. Sur un bilan quasi-inexistant.

Elle sera restée en poste de 2009 à 2014. Pendant ces cinq ans de travail comme Haute représentante de l’Union européenne, Catherine Ashton aura vu défiler guerres, crises humanitaires, printemps arabes et renaissance inédite de l’islamisme terroriste sans presque jamais faire le poids dans la balance de la diplomatie mondiale. Récemment, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, se permettait un ultime tacle contre elle : "Quand il y a des gens qui crèvent, il faut revenir de vacances", lui lançait-il à propos de son absence sur l'Irak. Samedi, Frederica Mogherini, ministre italienne des Affaires étrangères, devrait être désignée pour prendre sa suite à la Commission européenne. Le bilan de la Britannique, inconnue du grand public, est-il si catastrophique que cela ?

Insipide. Ce qui est certain, c’est que ni le nom, ni le visage de Catherine Ashton n’auront marqué les années José Manuel Barroso, en tout cas auprès des citoyens européens. Elle, qui n’a accordé que de très rares interviews, n’a été d’ailleurs qu’un deuxième, voire un troisième choix à ce poste. Avant elle, le jeune et tonitruant David Miliband a refusé le job. Beaucoup auraient également préféré voir l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair à sa place.

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A cette platitude de style, la baronne Ashton of Upholland, de son nom complet, a adjoint une banalité de déclarations. La dernière en date, à propos des négociations russo-ukrainiennes qui se sont tenues à Minsk mardi et mercredi, est en parfaite harmonie avec le reste de sa carrière. "Le dialogue, qui s’est déroulé de temps à autre (entre Kiev et Moscou, ndlr.), doit devenir un vrai dialogue", a déclaré Catherine Ashton devant la presse européenne. Soit.

Mais comme le disait très bien le diplomate français Maxime Lefebvre, cité par Le Monde en janvier 2011, "les déclarations communes – de l’Union européenne – ne servent parfois qu’à masquer les divergences entre les Etats membres". A Catherine Ashton, alors, de camoufler le vide décisionnel.

Retards à l'allumage. Peut-on, pour autant, accepter que ces mornes déclarations arrivent bien souvent après la guerre ? Le retard à l’allumage du Service européen pour l’action extérieure que dirige la Britannique est quasi-systématiquement sous le feu des critiques. Quand Ashton promettait "un rôle actif" de l’Union au Mali en janvier 2013, les premiers militaires européens n’ont foulé le sol que début avril, plus de trois mois après le début de la mission française. Sur la crise en Crimée, il faudra attendre cinq jours pour que la Haute représentante parvienne à réunir les Vingt-Huit.

En 2011, un haut diplomate ironisait au Monde : "Le service européen d’action extérieure est en place ? Ah bon, quelle action ?" Un rapport de la Cour des comptes européennes critiquait très récemment, début juillet, ce qui aurait pu être une machine de guerre diplomatique. "Mal préparé" avec un manque flagrant de ressources, le SEAE créé en 2010 n’a pas pu être sauvé par sa toute première patronne.

Bouffée par Barroso. Catherine Ashton aurait-elle pu être plus incisive ? Sa collègue à la Justice, Viviane Reding, s’est plus d’une fois ouvertement fendue de piques assassines sur les politiques des gouvernements européens. L'ancien président Nicolas Sarkozy en a d’ailleurs fait les frais sur sa politique sur les Roms. Mais la justice n’est pas la diplomatie. Et Catherine Ashton n’a pas su s’imposer face à la mainmise des débuts de Barroso. Le président de la Commission européenne s’est arrogé l’exclusivité des commentaires cinglants. Sur la Syrie, par exemple, José Manuel Barroso parlait de "tache sur la conscience mondiale".

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"Cathy" cache son jeu. Pourtant, dans un article du Monde, ses proches parlaient d’un femme au fort ego, au courage politique parfois impressionnant, comme lorsqu’elle coupe toute discussion avec les émissaires iraniens à Istanbul, en 2011. "Dans des circonstances pareilles, il faut plus de courage pour rompre que pour signer", commentait-on dans le cercle diplomatique français.

Malgré cinq années de quasi-aphasie, sur la Côte d’Ivoire, Haïti et d’autres encore, la baronne a quelques discrets mais importants succès à son palmarès. Elle entretient de très bonnes relations avec John Kerry, qui a pris la suite d’Hillary Clinton à la tête de la diplomatie américaine, mais aussi son homologue russe Sergueï Lavrov. On l’a oublié, mais en avril 2013, Catherine Ashton parvient à faire signer un accord historique de normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo.

Elle sait manier l'autobus. Plus récemment, elle est parvenue à une percée historique sur le nucléaire iranien. Mohammed Javad Zarif, ministre iranien des Affaires étrangères, ne veut plus "travailler qu’avec Cathy", rapportait Le Monde. Sur ce dossier, elle a "slalomé avec un autobus" pour contenter Américains et Iraniens, selon un diplomate français.

En cinq ans, la femme de l’ombre n’a pas réussi sa percée médiatique mais a pu sauver la fin de son mandat. Avec un dernier faux pas avant de partir. Catherine Ashton a une nouvelle fois brillé par son absence sur le dossier irakien.