Arménie : pourquoi la crise s'aggrave

Depuis 10 jours, des milliers de personnes descendent dans les rues de Erevan pour protester contre le Premier ministre.
Depuis 10 jours, des milliers de personnes descendent dans les rues de Erevan pour protester contre le Premier ministre. © AFP
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O.G. avec AFP , modifié à
Depuis une dizaine de jours, le pays est secoué par un mouvement de protestation qui accuse le Premier ministre de vouloir rester au pouvoir à vie.

La crise politique qui secoue l'Arménie depuis une dizaine de jours s'est aggravée dimanche, avec l'interpellation du chef de la contestation Nikol Pachinian après l'échec de sa rencontre avec le Premier ministre Serge Sarkissian, et de centaines de protestataires en marge de manifestations, émaillées de heurts avec la police.

La délégation de l'Union européenne a exprimé sa "préoccupation" par l'aggravation de la situation dans le pays. Ancienne république soviétique, ce pays du Caucase enclavé entre la Russie et la Turquie connaît une histoire politique mouvementée depuis 1991. On vous explique tout.

Pourquoi les Arméniens manifestent-ils ?

Les manifestations se succèdent dans ce pays, indépendant depuis 1991. Les protestataires accusent Serge Sarkissian, récemment élu Premier ministre par les députés et qui vient tout juste d'achever son deuxième et dernier mandat présidentiel, de vouloir s'arroger le contrôle du pays et rester au pouvoir à vie. À travers leurs revendications, les manifestant visent aussi la révision constitutionnelle qui donne à Serge Sarkissan l'essentiel du pouvoir. 

Cette opposition anti-gouvernementale a donné lieu à 84 interpellations samedi à Erevan, la capitale du pays. Depuis le début de la contestation, le mouvement de protestation ne faiblit pas : des milliers de personnes se réunissent quotidiennement et mardi, 40.000 personnes se sont réunies sur la place de la République, en plein centre-ville, à l'appel du député et leader de l'opposition Nikol Pachinian. Il s'agit de la plus grande manifestation d'opposition de ces dernières années dans le pays, selon Le Monde

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Ancienne république soviétique, l'Arménie compte 2,9 millions d'habitants. Source : AFP

Des élections contestées

Élu le 17 avril au poste de Premier ministre par le Parlement, Serge Sarkissian occupe depuis 2008 les hautes sphères du pouvoir. Cet ancien officier de l'armée qui ne cache pas sa sensibilité prorusse, est arrivé à la tête du pays le 20 février 2008, en remportant la présidentielle dès le premier tour. À l'époque déjà, l'opposition avait dénoncé des fraudes et les manifestations avaient tourné à l'émeute, faisant dix morts. 

En 2013, Serge Sarkissan est réélu président après la (très) large victoire de son parti aux législatives de 2012 qui remporte 69 sièges sur 131. Au cours de son deuxième mandat, il doit faire face à des mouvements de contestation qui paralysent Erevan pendant deux mois, alors que les tarifs de l'électricité ont augmenté.

Une révision constitutionnelle controversée

Alors que la Constitution interdit au président d'effectuer plus de deux mandats, Serge Sarkissian fait voter en décembre 2015 une réforme controversée donnant l'essentiel des pouvoirs au Premier ministre... et rendant les fonctions du président largement protocolaires. L'opposition dénonce déjà "une manœuvre" du chef de l'État pour se maintenir au pouvoir après la fin de son deuxième mandat en 2018. 

En 2016, des opposants prennent des otages dans un commissariat de Erevan. Ils réclament la démission de Serge Sarkissian, qui ne plie pas. Deux policiers sont tués, rappelle L'Express. De nouvelles manifestations hostiles au pouvoir se multiplient. Début 2017, le parti de Sarkissian remporte à nouveau une large victoire aux élections législatives lors d'un scrutin contesté par l'opposition. Le 2 mars 2018, Armen Sarkissian - sans lien de parenté avec son prédécesseur - est élu nouveau président du pays. Du fait de la révision constitutionnelle, le rôle de cet ancien ambassadeur arménien au Royaume-Uni n'est cantonné qu'à des fonctions protocolaires.

Le principal opposant interpellé dimanche

Entouré de ses gardes du corps, Armen Sarkissian s'est rendu samedi sur la place de la République pour rencontrer le chef de la contestation Nikol Pachinian. Le nouveau président, qui a prêté serment la semaine dernière, s'est déclaré samedi "très préoccupé" par le refus du leader de l'opposition d'entamer un "dialogue politique" avec le Premier ministre Serge Sarkissian qui avait avancé cette proposition.

Dimanche matin, la tentative de négociation entre le Premier ministre et Nikol Pachinian a tourné court. Après de vifs échanges entre les deux hommes, le leader de l'opposition, député et ancien journaliste, a été interpellé avec deux autres députés. Dans une déclaration, le parquet a accusé ces opposants d'"avoir violé de manière répétitive et grossière la loi sur les manifestations, en organisant des défilés et des meetings illégaux et en appelant à bloquer les routes et paralyser le fonctionnement des établissements publics".

Dimanche, en dépit de l'interdiction de manifester, les opposants sont restés sur la place de la République. Selon le média EVN Report, un nombre sans précédent de manifestants, entre 70.000 et 100.000 personnes, réclament toujours un changement politique. Et le mouvement semble loin d'être terminé puisque des appels à grèves étudiantes se font déjà entendre.