À la frontière banglado-birmane, le calvaire des Rohingyas continue

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Gwendoline Debono, envoyée spéciale au Bangladesh, édité par M.B. , modifié à
Des dizaines de réfugiés issus de cette minorité musulmane persécutée en Birmanie affluent sur les côtes bangladaises. Et ce, alors que Naypyidaw assure que les exactions militaires ont pris fin.
REPORTAGE

Depuis trois semaines, Moucharaf est aux avant-postes de la déportation des Rohingyas. Posté sur une île à la frontière entre le Bangladesh et la Birmanie, ce garde-côte observe, depuis le bout de sa jetée, la rive birmane de la rivière située à moins d'un kilomètre. "Je n'ai jamais vu quelque chose comme ça", confie-t-il. "J'ai vu des gens débarquer avec des jambes et des bras coupés, des brûlures sur tout le corps. À cause du mauvais temps, il y a moins de traversées. Mais des familles arrivent encore épuisées et sans espoir. C'est effrayant et inhumain."

Colonnes de fumées. Ces familles, ce sont des Rohingyas, musulmans minoritaires en Birmanie, persécutés par la junte militaire. La prix Nobel de la paix et dirigeante birmane Aung San Suu Kyi a beau avoir assuré, en début de semaine, que les exactions avaient pris fin le 5 septembre et que son pays était prêt à organiser leur retour, Moucharaf voit toujours s'élever des colonnes de fumée depuis les collines birmanes voisines. Les villages Rohingyas brûlent encore et leurs habitants continuent de fuir. Selon la Première ministre du Bangladesh, 800.000 personnes auraient déjà rejoint son pays.

"J'ai marché des heures". La nuit dernière, ils étaient déjà 82 sur la rive où se tient Moucharaf. À l'image de Fatima, qui a pu embarquer à bord d'un bateau de pêcheurs. "Les militaires ont égorgé mon mari", témoigne-t-elle. "J'ai marché des heures dans la forêt, lentement, prudemment. Près des berges, on entendait les soldats birmans patrouiller en nous disant de quitter le pays." Mais pour y parvenir, encore faut-il avoir de l'argent. Comme elle était seule, il a fallu à Fatima "plusieurs jours pour trouver les 15 dollars qu'il faut payer aux pêcheurs pour traverser". Et connaître la délivrance. "Lorsque j'ai vu s'approcher le bateau qui nous emmenait au Bangladesh, ça a été comme une lumière pour moi."

Fatima n'est pas la première et sûrement pas la dernière. Un autre réfugié assure avoir vu dans sa fuite plusieurs centaines de familles cachées dans la forêt. "La chasse à l'homme n'est pas terminée", assure-t-il.