Loi sur le renseignement : les "boîtes noires" en 5 questions

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ON VOUS EXPLIQUE - Ces boîtiers informatiques prévus dans la loi sur le renseignement seront capables d'enregistrer tous les agissements en ligne des internautes français.

Le projet de loi sur le renseignement, à l'étude à l'Assemblée nationale depuis le 13 avril, vise à renforcer les pratiques des services de renseignement en leur donnant un cadre légal. Mais de nombreux défenseurs des libertés publiques critiquent ce texte, notamment l'installation de "boîtes noires" chez les fournisseurs d'accès à Internet pour surveiller tout le trafic des internautes français. Pour bien comprendre les enjeux de cette loi et sa portée, Europe 1 a interrogé Marc Rees, rédacteur en chef du portail spécialisé NextInpactet spécialiste du renseignement en ligne.

>> C'est quoi cette "boîte noire" ? Le terme de "boîte noire" n'a pas été inventé ni utilisé par hasard : "c'est un membre de l'exécutif qui l'a décrit comme ça", précise Marc Rees. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une boîte que l'on va brancher à son domicile, ou connecter à sa box Internet. "C'est un programme informatique bourré d'algorithmes  capables d'analyser tout Internet", décrit le spécialiste. Mais encore ? "C'est un peu comme un filtre sur les tuyaux des contenus Internet", illustre le journaliste. Pas d'installation chez les particuliers donc, mais "un système informatique implanté directement chez les opérateurs, fournisseurs d'accès et hébergeurs", ajoute Marc Rees. En clair, un filtre installé au plus près de la source, que ce soit sur YouTube, Facebook, Google "ou même le site Europe1.fr", raconte le journaliste.

>> Qui sera visé par ce système de surveillance ? Tout le monde. En installant un tel dispositif à la source, et non chez l'internaute, les renseignements français s'assurent de couvrir un champ d'action extrêmement large. Marc Rees attribue une "capacité de déploiement très vaste" au dispositif, ajoutant que la loi lui confère "une liberté d'action totale". Un autre dispositif complémentaire permettra d'installer de véritables mouchards "à peu près partout, toujours sous le secret défense" en cas de demande de surveillance plus appuyée. "Là, ce sera vraiment chirurgical", s'inquiète l'expert.

>> Pourquoi c'est inquiétant ? Le problème vient du fait que les contours de la surveillance voulue par les renseignements français restent flous. Par exemple, "tout mouvement un peu virulent n'est pas forcément terroriste mais peut être catégorisé comme tel par le gouvernement", illustre Marc Rees. "La notion même de terrorisme est floue", craint le journaliste. "Jean-Yves Le Drian (ministre de la Défense, Ndlr) a expliqué que le simple fait de masquer son IP (sorte de numéro d'identité d'une connexion Internet, Ndrl), chiffrer sa connexion (une technique de protection des données, Ndlr) ou même se connecter à telle heure sur tel site sera suspect", développe notre expert.

Pire, "on ne saura pas exactement ce qui sera fait au sein même de ce dispositif, puisque tout sera sous couvert de secret défense !", alerte le rédacteur en chef de NextInpact. "Je n'ai aucun doute sur le caractère démocratique de notre pays mais on ne sait pas ce qui va arriver au pouvoir dans les années à venir : ce qui est prévu, ce sont des outils de surveillance massive dont la dangerosité dépend de l'ADN du pouvoir en place", s'inquiète le spécialiste. "Le problème, c'est qu'on n'a aucune idée de la portée de ce déploiement même si on a des indices. Ça nourrit l'inquiétude et l'anxiété de nombreuses associations françaises de défense de la vie privée".

>> Sera-t-il possible de contourner cette surveillance ? Avec un périmètre de déploiement aussi flou, difficile d'anticiper une éventuelle parade pour les internautes. "Échapper à cette surveillance est difficile à prévoir. Une chose est sûre, ça va inciter les personnes à crypter leurs échanges de manière encore plus poussée qu'aujourd'hui", imagine Marc Rees. En revanche, "l'utilisateur lambda ne pourra pas faire grand-chose", anticipe-t-il.

>> C'est pour bientôt ? L'Assemblée nationale a terminé l'examen du texte jeudi, il y aura ensuite un vote au Sénat. Une fois le texte prêt, "seul le Conseil constitutionnel, une fois saisi, pourrait encadrer de façon stricte le dispositif", prévient notre expert. Mais à en croire Marc Rees, il n'est pas impossible que le dispositif imaginé par cette loi sur le renseignement soit mis en place "d'ici le mois de juin".

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