Procès d'Outreau : "C’est une honte de faire venir Daniel Legrand ici"

alain marécaux outreau 1280
Alain Marécaux est l'un des acquittés venus apporter son témoignage, mardi 2 juin 2015, dans ce troisième procès d'Outreau. © DAMIEN MEYER / AFP
  • Copié
et Noémie Schulz , modifié à
Dix ans après avoir été acquittés, les "fantômes" de l’affaire ont défilé à la barre, lundi et mardi, pour le procès de Daniel Legrand. Avec cette évidence : Outreau les hantera à vie.

Un cri de couleur et de colère. Face à la cour d’assises des mineurs de Rennes, l’ex-femme d’Alain Marécaux, acquittée en 2004, hurle. S’accroche à la barre comme si elle risquait de s’écrouler : "Je tremble d’être devant vous, vous ne vous rendez pas compte de ce que l’on a vécu et vous nous faites venir, Daniel Legrand et nous, comme si c’était normal". "C'est une honte de le faire venir ici!" a-t-elle ajouté. Appelée à témoigner - comme les neuf autres acquittés de l’affaire encore vivants - dans ce troisième procès d’Outreau où seul comparaît Legrand fils, cette infirmière scolaire de 48 ans, est en sanglots : "C’est dégueulasse. Outreau, ça m’a tuée." Dix ans après, elle est toujours sous traitement médicamenteux. Figé, le président Philippe Dary ne lui pose aucune question.

Daniel Legrand fils est jugé devant la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine pour des viols sur les quatre fils du couple Badaoui-Delay qu'il aurait commis alors qu'il avait moins de 18 ans. Des faits identiques à ceux pour lesquels il a été acquitté en 2005, en tant que majeur.

L’affaire Outreau, à vie. Mardi après-midi, ce sont des femmes et des hommes qui jamais ne se remettront de cette affaire qui ont témoigné à la barre. Tous vivent avec les fantômes de cette instruction, qualifiée de "naufrage judiciaire sans précédent" par Jacques Chirac, président de l’époque, et dans laquelle 13 personnes furent acquittées sur les 17 mises en accusation.

Alain Marécaux, "l’huissier". "Il n’y a pas une journée où je n’y pense pas, où je ne pense pas à mes deux ans d’incarcération, au mal qu’on m’a fait à moi, à ma famille", confie Alain Marécaux, "l’huissier" de l’affaire, qui raconte sa vie et celle de ses enfants, brisés. "Mes enfants ne vont pas bien. Comment voulez-vous que mes enfants aillent bien ?", a lancé l’homme de 51 ans.

"Aujourd'hui, je n'ai plus de contact avec ma fille, je garde contact avec mes deux fils", a-t-il expliqué. Ses fils ont été placés, l’un a erré de famille d’accueil en famille d’accueil… Outreau, il ne voulait plus jamais en parler. Mais il est venu pour Daniel, à qui il sourit plusieurs fois. "J’ai de la peine pour lui, comment peut-il être là aujourd’hui ?"

Roselyne Godard, "la boulangère". Même interrogation chez Roselyne Godard. Elle témoigne par visioconférence, "trop peur de venir à Rennes". "Daniel, il est innocent au même titre que moi, ça me peine énormément qu’il soit là. Ça aurait pu être moi." A cet instant, c’est sans doute cela qui la bouleverse le plus : et si c’était elle, l’accusée, aujourd’hui ? "La justice ne cesse de remettre en cause notre innocence, faut que ça s’arrête", lâche celle qui fut surnommée "la boulangère" dans ce dossier d'un réseau de pédophilie présumé.

Dominique Wiel, "l’abbé". "Ce n'était pas une nécessité de lui infliger un nouveau procès", a, quant à lui, déclaré "l'abbé" du dossier, Dominique Wiel, âgé aujourd’hui de 78 ans. Dans quelques jours, l’affaire devrait définitivement s’éteindre sur un plan judiciaire, mais les acquittés d’Outreau continueront sûrement de se réveiller la nuit, avec la peur de voir des barreaux à leurs fenêtres.