Picasso avait une "confiance absolue en moi"

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Jacques Thérence avec Chloé Pilorget-Rezzouk et AFP , modifié à
Au premier jour de son procès, l'ex-électricien de Picasso a continué d'affirmer que l'artiste lui avait fait un don de 271 œuvres. Il comparaît, avec son épouse, pour "recel". 

L'info. Mardi, les retraités Pierre Le Guennec et son épouse Danielle, ont été entendus par le tribunal correctionnel de Grasse. Ayant conservé dans le garage de leur maison 271 œuvres de Picasso, ils comparaissent pour "recel". 

Introduit par "Nounours", ancien chauffeur du peintre. C'est par le biais du mari de sa cousine, Maurice Bresnu, que Pierre Le Guennec est introduit auprès des Picasso, alors qu'il s'était installé sur la Côte d'Azur près de sa famille. Surnommé "Nounours", Maurice est l'ancien chauffeur du peintre. Dans le cadre de l'instruction, un réquisitoire supplétif avait d'ailleurs étendu l'affaire à Bresnu, décédé, qui a aussi fait l'objet de dons de l'artiste, jugés très suspects par les avocats de la famille Picasso. 

La première fois que l'électricien est appelé au mas de Notre-Dame-de-Vie à Mougins, dernière demeure de l'artiste décédé en 1973, c'est pour réparer un four. Puis, on lui demande d'installer un système de sécurité. "De temps à autre, il me faisait appeler pour me demander ce que je faisais, où en étaient les travaux", se souvient Pierre Le Guennec devant le tribunal. "Monsieur et madame m'appelaient "petit cousin"", confie le prévenu, en opposition au "gros cousin", Maurice Bresnu. En juillet 1971, Picasso lui dédicace un catalogue d'exposition dans leur jardin, tout comme à Nounours. A la barre, vêtu d'un pull blanc et d'un jean, l'homme aujourd'hui âgé de 75 ans avance : "Picasso avait une confiance absolue en moi, c'est peut-être ma discrétion."

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Un don de Jacqueline Picasso. La boîte des 271 œuvres lui est donnée très informellement un jour par Jacqueline, l'épouse du peintre, dans un couloir du mas, raconte le prévenu qui s'exprime parfois maladroitement. "Elle m'a dit"ça c'est pour vous". Elle me tend un carton", se souvient Pierre Le Guennec devant le tribunal. En rentrant chez lui, à Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, il regarde le contenu avec son épouse, aperçoit "des dessins, des esquisses, du papier froissé", le tout "en vrac". "On n'a pas tout feuilleté", précise-t-il. 

40 ans au fond du garage. Une attitude qui étonne le président du tribunal : "Vous n'êtes pas curieux?" demande-t-il. "Ben non", répond le retraité. Pour lui, qui n'est pas un grand connaisseur, l'art ce n'est pas "ça" : "Des œuvres j'ai pas ça à l'esprit, c'est des essais, des morceaux déchirés, ça m'interpelle pas.", explique-t-il. "C'est pas comme si je voyais une toile, c'est pas pareil, pas la même réaction", poursuit l'ex-électricien. Il stocke alors le cadeau sur l'étagère de son petit bureau, au fond du garage de son pavillon. D'après ses dires, ce n'est qu'en 2009, soit près de 40 ans après le don de l'épouse Picasso, qu'il aurait rouvert le carton. Atteint d'un cancer, il souhaitait mettre de l'ordre dans ses affaires pour ses enfants.    

Des œuvres d'une valeur exceptionnelle. Mardi matin, toutes les œuvres en question ont été projetées sur un écran du tribunal. La boîte comprenait en effet, et en parfait état de conservation, 180 œuvres et un carnet de 91 dessins. Des œuvres non signées, qui s'échelonnent entre 1900 et 1932. Très disparates, certes, mais qui comprennent des pépites, comme neuf "collages cubistes" très rares, précise Me Jean-Jacques Neuer, avocat de Claude Picasso, fils de l'artiste en charge de l'authentification des œuvres. Lorsque Pierre Le Guennec et sa femme s'étaient rendus, en septembre 2010, pour faire authentifier les œuvres auprès de la Picasso Administration, à Paris, le "cadeau secret" avait fait sensation. Mais dès la fin du mois, les héritiers avaient saisi l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels et porté plainte.

Du blanchiment d'œuvres d'art ? Car pour l'avocat des six héritiers Picasso, Me Neuer, Pierre Le Guennec, soupçonné du "recel" de 271 oeuvres du maître, serait la couverture d'une "affaire de blanchiment international d'œuvres d'art". A l'audience, Jean-Jacques Neuer a pris la parole pour lancer des accusations cinglantes non versées au dossier jusqu'alors. "On a affaire à un blanchiment international d'œuvres d'art. C'est à lui qu'on a confié ces œuvres volées parce qu'il avait eu des relations avec Picasso", a-t-il affirmé, avant d'extorquer Pierre Le Guennec a dire la vérité, estimant que "le mythe du petit électricien a vécu".

Selon l'avocat, l'ex-électricien a dressé une liste très détaillée pour faire authentifier les œuvres, alors qu'il dit les connaître très peu. Pour Me Neuer, Le Guennec aurait donc été aidé. Au micro d'Europe 1, l'avocat des héritiers a précisé ses accusations : "Cet homme n'a pas établi ces listes, cet homme n'a pas reçu ce qu'il prétend avoir reçu. Tout est faux, tout est incohérent, rien ne tient. Parallèlement à ça, il est archi-documenté à partir de documents internes à une galerie de Genève. C'est une véritable histoire de trafic international. Ce Monsieur est tout simplement une mule."

La journée de mercredi sera consacrée à l'audition de trois héritiers de Pablo Picasso, sur les six qui se sont constitués partie civile. Car tous ont la certitude que ces œuvres ont été volées.