Pédophilie : comment le diocèse de Lyon s'est retrouvé dans la tourmente

La cardinal Barbarin
La cardinal Barbarin © AFP
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avec AFP , modifié à
Confrontée à une nouvelle plainte, le cardinal Philippe Barbarin a nié mardi avoir couvert "le moindre acte de pédophilie" dans son diocèse de Lyon.

Avec les accusations successives d’agressions sexuelles commises par des prêtes de la région lyonnaise, se dessine une histoire dans l’histoire. Celle d’une omerta longue de plus de vingt ans au sein de l’Eglise. Une omerta incarnée par le cardinal Philippe Barbarin, soupçonné d’avoir couvert "le moindre acte de pédophilie" dans son diocèse de Lyon. Déjà accusé d'avoir fermé les yeux sur les agissements du père Bernard Preynat, cette figure de l'Église est désormais confrontée à une nouvelle plainte visant un autre prêtre lyonnais. L'affaire du père Preynat, devenue depuis l'affaire Barbarin, a pris une tournure politique mardi, lorsque Manuel Valls à appeler Philippe Barbarin à "prendre ses responsabilités".

ACTE 1 - Des soupçons d’agressions sexuelles visant le prêtre Preynat. Les soupçons qui visent le père Bernard Preynat et ses agissements sur de jeunes scouts il y a plus de 25 ans, sont à l'origine du scandale. Les faits incriminés courent de 1970 à 1990, selon les plaignants, aujourd’hui trentenaires et quadragénaires. A cette période, Bernard Peyrat officie auprès du groupe de scouts Saint Luc de Sainte-Foy-lès-Lyon, une banlieue résidentielle de Lyon. Là-bas, l’homme, décrit par tous comme charismatique, est suspecté d’avoir commis des attouchements sexuels répétés sur plusieurs jeunes garçons, âgés de 9 à 11 ans.

A l’époque des faits, les parents des jeunes victimes avaient alerté le diocèse, menaçant de tout raconter à la justice. Le prêtre avait été écarté. Mais pas renvoyé. L’Eglise l’avait même autorisé à revenir à la tête de paroisses en 1991, puis à redonner des cours de catéchismes à des enfants. Le septuagénaire a d’ailleurs été le doyen de plusieurs paroisses dans le Roannais jusqu'à fin août 2015.

ACTE 2 - Le prêtre reconnaît les faits. C'est à cette date que des anciennes victimes présumées découvrent que le prêtre officie toujours. Rassemblée au sein d'une association, "La Parole Libérée", une dizaine de victimes portent plainte dans le courant de l’année 2015. En garde à vue, le prêtre a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Il a été mis en examen le 27 janvier dernier, pour des agressions sexuelles sur quatre victimes entre 1986 et 1991, les autres faits étant prescrits. Il a aussi été placé sous le statut de "témoin assisté" pour des viols avoués en garde à vue.

ACTE 3 - Un autre cas signalé à Mgr Barbarin. Dans un autre dossier, un signalement a été adressé en février au parquet de Lyon concernant des actes pédophiles remontant au début des années 1990 et commis par un prêtre relevé de ses fonctions mardi - il devait encore célébrer une messe à midi. Cette plainte émane d'un homme, qui se présente sous le prénom de Pierre et occupe un poste haut placé au ministère de l'Intérieur et qui ne souhaite donner ni son nom ni sa fonction.

Selon lui, les témoignages récents de victimes présumées de Bernard Peyrat ont "ravivé des douleurs". Le 14 février, il a envoyé un long courrier au procureur de la République de Lyon, qui a valeur de plainte. Dans sa lettre, Pierre affirme avoir été victime d'actes pédophiles de la part d’un abbé du diocèse de Lyon. Deux fois : à Biarritz quand il était mineur, au retour d'un pèlerinage, puis à Lourdes, à sa majorité. Des faits remontant "entre la fin des années 1980 et le début des années 1990", précise-t-il dans sa lettre, dans laquelle il rappelle avoir déposé une première plainte en 2009 auprès de la police de Cergy-Pontoise, dans le Val d'Oise.

En 2009, il avait d’ailleurs fait part de sa plainte à Mgr Barbarin qu'il avait rencontré à Paris gare de Lyon. Selon son témoignage, le cardinal avait indiqué à Pierre que cet abbé avait déjà "eu maille à partir avec la justice pour exhibitionnisme (...) demandant pardon en son nom", reconnaissant "la véracité" des faits dénoncés. Depuis plus rien. Les faits avaient été classés sans suite pour prescription. Pierre explique aujourd'hui avoir porté plainte pour que ce prêtre "ne détruise plus de vies". La justice a ordonné une nouvelle enquête préliminaire pour éclaircir ce dossier.

ACTE 4 - La hiérarchie sommée de s’expliquer. Ces affaires parallèles mettent désormais la hiérarchie ecclésiastique dans la tourmente. Sommé par Manuel Valls de "prendre ses responsabilités", le cardinal Philippe Barbarin a nié mardi "avec force" avoir couvert "le moindre acte de pédophilie" dans son diocèse de Lyon. "Je veux dire avec la plus grande force que jamais, jamais, jamais je n'ai couvert le moindre acte de pédophilie", a lancé l'archevêque de Lyon lors d'une conférence de presse en marge de l'assemblée de printemps des évêques, qui s'est ouverte mardi dans un huis clos troublé par la tempête médiatique.

Concernant le cas de Pierre, le primat des Gaules a déclaré : "ce sont des points très troubles, bien sûr, de la vie d'un prêtre mais qui n'ont plus rien à voir avec de la pédophilie", ajoutant toutefois qu'il n'avait "pas d'assurance" que ces actes ne se reproduiraient pas. "Je demande qu'il n'exerce pas son ministère, dans le monde entier, jusqu'à ce que la justice se fasse", a-t-il toutefois déclaré en signe d’apaisement.

Le Vatican, par la voix de son porte-parole Federico Lombardi, a de nouveau manifesté "estime et respect" envers le cardinal, jugeant "opportun d'attendre le résultat de l'enquête" ouverte dans l'affaire Preynat.

ACTE 5 - Des risques de poursuites pour le cardinal ? Mais les victimes présumées ne satisfont pas de ces explications. L'intervention du primat des Gaules a d’ailleurs été jugée "pathétique" par un porte-parole de l'association des victimes du Père Preynat. Saisi par des parties civiles, le parquet de Lyon a ordonné début mars une enquête préliminaire pour faire la lumière sur leurs accusations de "non-dénonciation" d'atteintes sexuelles, et de "mise en péril de la vie d'autrui" durant le temps où le père Preynat a continué d'exercer. Au moins trois plaintes ont été déposées. Elles visent notamment des responsables du diocèse, dont le cardinal Barbarin.

Le délit de non-dénonciation, dont le délai de prescription est de trois ans, court à compter du jour où le prévenu a eu connaissance des faits. La justice doit donc se pencher sur une épineuse chronologie : quand le cardinal Barbarin a-t-il été mis au courant ?