Meurtre de Chloé : les réactions politiques au crible

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Chloé Pilorget-Rezzouk , modifié à
DÉCRYPTAGE - Le drame de Calais n'a pas manqué de faire réagir les responsables politiques. 

Après le choc suscité par le viol et le meurtre de la petite Chloé, à Calais, par un homme de nationalité polonaise, les réactions politiques se sont multipliées. En particulier du côté droit de l'échiquier politique, qui en a notamment profité pour critiquer la politique du gouvernement.

1 - Ils réclament la double peine. Ainsi, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ont tous les deux appelé à restaurer la double peine, cette peine complémentaire qui permet à un juge, en cas d'infraction pénale, d'assortir  une peine d'emprisonnement ou d'amende d'une interdiction du territoire français (ITF)  – provisoire ou définitive – dans le cas exclusif des étrangers. Dans un tweet, la présidente du Front National a déclaré : "La suppression de la double peine imposée par Nicolas Sarkozy nous interdit d'expulser les criminels étrangers. Colère et indignation !" Le président de Debout la France, a, quant à lui, fait part de son indignation dans un communiqué.

Ce qu’il en est réellement. Contrairement à ce qu'affirme Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy n'a pas supprimé la double peine en 2003, il en a simplement restreint le champ d'application en ajoutant des cas d'exception pour lesquels l’interdiction du territoire ne peut être prononcée. L'affirmation de la présidente du parti d'extrême-droite selon laquelle il n'est plus possible "d'expulser les criminels étrangers" est donc fausse.

"Il faut que dans la liste des peines prévues par le droit pour chaque infraction, l'interdiction du territoire français soit possible", explique Céline Parisot, secrétaire générale de l'union syndicale des magistrats (USM). Ce qui n'était pas le cas des infractions pour lesquelles le meurtrier présumé de la fillette a été jugé coupable en 2010 par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer. L'interdiction du territoire stipulée dans son jugement n’était donc "pas applicable", a indiqué le procureur de la République Jean-Pierre Valensi, jeudi. 

2 - Ils dénoncent une justice laxiste. Certains élus de droite n'ont pas non plus tardé à fustiger le laxisme du gouvernement, particulièrement celui de Christiane Taubira, à l'instar de Laurent Wauquiez qui a vivement critiqué la garde des Sceaux et sa politique pénale : "Le drame de Calais confirme la politique de désarmement pénal de Christiane Taubira", a ainsi écrit sur son compte Twitter le maire du Puy-en-Velay. Tout comme Christian Estrosi, maire UMP de Nice qui a déclaré : "Il est temps que le gouvernement comprenne que nous ne pouvons plus laisser de place au laxisme. La tolérance zéro doit être appliquée."

Ce qu’il en est réellement. Pourtant, le tueur présumé de la fillette âgée de neuf ans, a été jugé en France bien avant que la réforme pénale, portée par Christiane Taubira et le gouvernement, ne soit promulguée en août 2014. Sur la période des deux sanctions pénales dont le suspect à fait l'objet, la France était sous un gouvernement de droite et présidée par Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy. L’homme de 38 ans a en effet été condamné à deux reprises par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, en 2004 et en 2010 pour extorsion et vol aggravé. Il a écopé de quatre ans de prison ferme la première fois et de six ans ferme pour la deuxième. D’après Céline Parisot, l’ITF prononcée par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, malgré son illégalité, "démontrait la réelle volonté des magistrats d’éloigner cet homme". Un autre magistrat a par ailleurs confié à Europe 1 que cette peine était loin d’être laxiste pour les faits incriminés.

3 - Ils remettent en cause l’espace Schengen et la libre circulation.  Enfin, les détracteurs du droit de libre circulation garanti par l’espace Schengen, dont nombre d’extrême-droite, n’ont pas manqué de monter au front, demandant la fermeture des frontières. Comme l’avocat et député FN du Gard, Gilbert Collard qui a tweeté : "Pour le gouvernement, la présence de l'assassin serait la faute de la Pologne ! Si la France avait des frontières, elle n'aurait pas de morte !"

Ce qu’il en est réellement. Si Zbigniew Huminski avait été renvoyé en Pologne en mars 2014, dès sa sortie de prison, c’est en raison d'un mandat d'arrêt européen émis à son encontre, en 2010, par Varsovie pour des faits de vol et d'extorsion commis en 2010. Ne faisant pas l'objet d'une ITF légale, l'homme était donc libre de revenir sur le territoire français, compte tenu de la législation sur la libre circulation des ressortissants européens dans l'espace Schengen. Depuis l'instauration de l'accord de Schengen, entré en vigueur en 1995, "tout individu, une fois entré sur le territoire de l’un des pays membres, peut franchir les frontières des autres pays sans subir de contrôles. Pour se déplacer, il n’a plus besoin de passeport", précise le site Vie publique. Toutefois, des contrôles peuvent être établis en cas d'atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale, comme dans les cas de terrorisme.

4 - Ils réclament un fichier criminel européen. Vendredi matin, sur BFMTV, l’ancienne garde des Sceaux Rachida Dati a estimé qu’il fallait "un fichier criminel européen et notamment un fichier européen des délinquants sexuels".

Ce qu’il en est réellement. Il existe déjà un fichier, le "SIS" pour Système d'information Schengen. Ce dernier, alimenté par les services nationaux (police, gendarmerie et autorités judiciaires) répertorie des personnes recherchées ou placées sous surveillance et "qui sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public et à la sécurité nationale", précise la magistrate Céline Parisot. Sur ce fichier figurent notamment les individus sous le coup d'un mandat d'arrêt européen et ceux interdits de territoire. Il doit donc permettre un contrôle plus pertinent aux frontières, malgré la libre circulation en vigueur au sein des pays de l'espace Schengen et même si, en réalité, les contrôles d'identité restent plutôt fortuits.   

Quant à un fichier des délinquants sexuels, dans ce cas, malheureusement, le suspect n'ayant jamais fait l'objet de condamnations ou de signalements pour des faits d'agressions ou de crimes sexuels – du moins en France -, celui-ci n'aurait pas été utile. 

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