Hyper Cacher : les angoisses "après-Charlie" d'un policier

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Laurent, 34 ans, policier membre de l'unité d'élite, qui a participé à l'assaut contre Amedy Coulibaly, raconte la peur qu'il a ressenti les jours qui ont précédé la prise d'otages et le sentiment de culpabilité vis-à-vis de sa famille.

Il fait partie de l'unité d'élite qui a participé à l'assaut contre Amedy Coulibaly, le 9 janvier dernier, dans l'épicerie casher de la porte de Vincennes. Salué pour leur courage et leur professionnalisme, les forces de police qui ont participé à l'assaut ne tirent pourtant aucune fierté de cette intervention. Laurent, 34 ans, raconte plutôt la peur qu'il a ressenti les jours qui ont précédé la prise d'otages et le sentiment de culpabilité vis-à-vis de sa famille, terrée dans l'angoisse le jour de l'attentat.

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"Nous faisons ce métier pour vivre de tels moments". Laurent se sentait pourtant préparé à affronter un tel événement. "Avant l'intervention, il y avait beaucoup de tension dans nos rangs mais je n'ai pas senti de peur. Après tout, nous faisons ce métier pour vivre de tels moments... Chef de colonne ou négociateur, tout le monde connaît son rôle, codifié, répété cent fois, mille fois, à l'entraînement", explique-t-il à L'Express.

"Ta vie dépend des gestes de ton voisin". Selon lui, son profil de père de famille constituait par ailleurs un atout, notamment pour gérer la situation avec responsabilité et mesure. "Ainsi, chacun est conscient de ce qu'il risque de perdre à l'instant où il s'élance. Ce millième de seconde supplémentaire qui permet de résister à l'emportement et au risque inutile est une garantie de sécurité pour les autres. N'oublie jamais que ta vie dépend des gestes de ton voisin. Et inversement...", estime le policier.

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"Avec lui, pas de négociation possible". Mais ces gestes, minutieusement répété lors des entrainements, ne semblent plus si évidents en présence du terroriste Amedy Coulibaly. "Avec lui, pas de négociation possible. L'homme est armé d'une vingtaine de bâtons d'explosif et retiens une dizaine de personnes en otage. Ce jour-là, face à Coulibaly, la situation se présentait différemment : comme dans une opération de guerre, c'était lui ou nous. Voire lui et nous", raconte Laurent.

Les membres du GIGN prennent alors conscience du danger et appellent leurs proches. "J'ai téléphoné à ma femme. D'habitude, je ne le fais jamais. Mais cette fois, la part de risque dépassait celle que nous prenons d'ordinaire, quand nous allons chercher des 'forcenés', des paumés dépassés par la vie ou des braqueurs pris au piège au petit matin", se remémore-t-il. 

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"J'ai eu du mal à dormir". Et quand l'assaut se termine, la tension ne retombe pas, au contraire. Laurent réalise l'angoisse qu'il a fait vivre à sa famille et l'ampleur des événements : un attentat à la résonance internationale. La scène, il la revivra plusieurs fois. "Les nuits suivantes, j'ai eu du mal à dormir. Et je n'ai pas été le seul. En fait, il m'a fallu une semaine pour me remettre et reprendre un rythme de vie normal. L'opération était saluée comme une réussite totale. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher de penser à ce quitte ou double pour la vie des otages. Je le revivais encore et encore. J'ai conscience de la frontière, si fragile, qui sépare la réussite de l'échec dans une pareille opération", confie-t-il.

Sa hiérarchie lui a bien proposé un soutien psychologique, qu'il a refusé comme les autres membres de l'assaut. Pourtant, la situation continue de le hanter. Tout comme son fils. "Avec mes enfants, j'ai dédramatisé. Je pensais que ça avait marché. Et puis, un soir, il y a quelques jours, j'ai trouvé un petit mot dans la poche du jean de mon fils, dans le linge sale, comme s'il voulait que je le trouve. Au milieu de ses interrogations d'ado couchées sur le papier, cette phrase : 'Je ne suis jamais sûr que papa rentrera le soir'", raconte le père de famille.