Légitime défense ou meurtre pour le cafetier de Lavaur ?

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Benjamin Peter avec Chloé Pilorget-Rezzouk et AFP , modifié à
Un patron de bar-tabac est jugé aux assises d'Albi pour avoir tiré sur deux cambrioleurs et tué l'un d'eux. Il plaide la légitime défense.

Meurtre ou légitime défense ? C'est la question que devra trancher la cour d'assises d'Albi, dans le Tarn, dans ce procès d'un cafetier jugé pour "meurtre" après avoir tué d'une balle de fusil de chasse un jeune cambrioleur de 17 ans, entré par effraction dans son établissement de la petite ville de Lavaur. Et l'enjeu est important, si la légitime défense est reconnue, Luc Fournié pourra être  acquitté, mais s'il est reconnu coupable de meurtre, il risque jusqu’à 30 ans de prison.

Jonathan, 17 ans, abattu. Cinq après le drame, Luc Fournié, aujourd'hui âgé d'une soixantaine d'années, comparaît libre. L'affaire, qui lui vaut d'être jugé pour meurtre, remonte à la nuit du lundi 14 décembre 2009. Vers 2H30 du matin, deux adolescents entrent par effraction dans le commerce de l'accusé. Entendant du bruit, et "pris par la peur", d'après la défense, Luc Fournié ouvre alors le feu sur les deux mineurs à l'aide de son fusil. L'un parvient à s'enfuir, mais Jonathan, lycéen de 17 ans, est abattu.

L'accusé n'a pas joué le "Dupont-Lajoie". Pour la défense, cette affaire est un cas d'école de la légitime défense. "Luc Fournié n'avait aucune propension à faire le Dupont-Lajoie", plaide son avocat Me Georges Catala, en référence à un film noir de 1974 consacré à un terrible cafetier meurtrier. "Il n'a aucun passé judiciaire. C'est un type qui aime les gens, simplement. Il était en panique quand il a tiré dans la pénombre", assure-t-il.

Un fil de pêche en guise d'alarme. Le buraliste était néanmoins particulièrement sur ses gardes. Quelques jours auparavant, Luc Fournié avait repéré que des barreaux des fenêtres de son établissement avaient été sciés. Le patron du bar-tabac s'était alors installé, armé, dans la réserve. Lui qui dormait habituellement avec sa mère de 87 ans et sa sœur, dans le logement situé au-dessus du bar, s'était aménagé un lit de camp. Il avait même placé un fil de pêche entre deux chaises dans le passage menant au bar, pour faire office d'alarme.

"Préparé pour se faire justice soi-même". Un comportement qui n'a rien à voir avec la légitime défense pour Estelle, la mère de Jonathan : "Si je me mets derrière ma porte avec une arme chargée, et que depuis des jours j'attends, je n'ai pas peur puisque j'attends. Il s'était préparé pour se faire justice soi-même, pour tuer. Il s'était monté la tête", analyse-t-elle au micro d'Europe 1. 

L'avocat de la famille des victimes fait lui aussi remarquer que "la légitime défense suppose que l'auteur des faits ait agi dans le temps même de l'agression", soulignant : "l'accusé a prémédité sa riposte qui, de plus, n'était absolument pas proportionnée parce qu'aucun des deux jeunes hommes n'était armé". 

"Ce n'est pas le procès de Jonathan". La sœur de Jonathan, Elsa, craint, elle, que l'on se trompe de procès : "Je sais très bien comment nous avons été élevés ;  je suis persuadée que ce cambriolage est un manque de discernement sur le moment, une bêtise. J'espère que les gens ne vont pas tomber dans ce traquenard. Qui est l'accusé ? Ce n'est pas le procès de Jonathan ", déclare-t-elle au micro d'Europe 1, par ailleurs persuadée que son frère s'est fait embarquer par son complice dans ce cambriolage.

Cinq ans après les faits, la famille de Jonathan n'attend plus d'excuses du cafetier. La mère de la victime estime que s'il demande pardon, ce sera pour les jurés. "Pour nous c'est trop tard", glisse-t-elle. Jurés et magistrats de la cour d'assises d'Albi auront trois jours pour trancher entre les deux versions.