Le blocage de l'A1 par des gens du voyage en procès à Amiens

Le 28 août, les gens du voyage avaient bloqué l'autoroute A1, près de Roye, dans la Somme.
Le 28 août, les gens du voyage avaient bloqué l'autoroute A1, près de Roye, dans la Somme. © AFP
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avec AFP
Plusieurs dizaines de gens de voyage avaient bloqué l’autoroute pour réclamer la libération du fils de l'une des victimes d'une fusillade survenue quatre jours plus tôt dans un camp de Roye.

28 août 2015, début d'un week-end de retour de vacances chargé. Pneus, palettes, poubelles, arbres brûlent sur l'A1, à l'instigation de plusieurs dizaines de gens de voyage, qui réclament que la justice libère le fils de l'une des victimes de la fusillade survenue quatre jours plus tôt dans un camp de Roye, dans la Somme. Ce blocage de représailles, long de plusieurs heures, vaut à douze d'entre eux de comparaître en justice jeudi et vendredi à Amiens.

Une fusillade embrase le camp. Le matin du 24 août 2015, le camp des gens du voyage de Roye se réveille au son des tirs d’un fusil de chasse. Un homme de 73 ans vient de tuer par balles une femme de 19 ans, sa fille de neuf mois et son beau-père, ainsi qu'un gendarme alerté par les tirs. Rapidement, la situation s’envenime, deux journalistes présents sur les lieux se font recevoir à coups de pieds et de poings. Le suspect, lui, est placé en garde à vue, avant d’être mis en examen des chefs d'"assassinat" et "tentative d'assassinat".

Un blocage suivi d’une permission. Le tireur derrière les barreaux, la situation ne s’apaise pas dans le camp des gens du voyage. Le refus par un juge des libertés de laisser sortir de prison le fils de la victime la plus âgée, ainsi qu'un proche, le temps d'assister aux obsèques, finit par réveiller une colère latente depuis la fusillade. Pour faire pression sur la justice, les gens du voyage bloquent l'autoroute Paris-Lille, avec comme conséquences, notamment un demi-million d’euros de préjudice.

Le lendemain, la cour d'appel d'Amiens invalide la première décision : ils bénéficieront d'une permission de sortie. Les gens du voyage lèvent aussitôt le barrage. Dans l'intervalle, les autorités ont dû fermer à la circulation l'A1, l'un des axes les plus fréquentés d'Europe, pendant près de 24 heures.

Mais des poursuites. Trois mois passent. Le 23 novembre, treize personnes sont placées en garde à vue, dont douze seront renvoyées devant le tribunal correctionnel d'Amiens pour "entraves à la circulation de véhicules" et certains pour "dégradations par incendie" et "vols en réunion". La justice et l'Etat sont notamment accusés d'avoir cédé devant la violence, pour la première, et de ne pas être intervenu de façon assez musclée, pour le deuxième.

"Un gouvernement dépassé". "Une telle manifestation, un tel blocage, sont inacceptables, et en tous points contraires à l'Etat de droit", s'était emporté Xavier Bertrand, alors candidat Les Républicains aux régionales en Nord-Pas-de-Calais/Picardie. Marine Le Pen avait pour sa part tweeté: "Autoroute A1 bloquée : une fois de plus un gouvernement dépassé, impuissant, indigne !"

Mais pour Me Jérôme Crépin, l'avocat de trois des prévenus, "l'Etat a compris que l'institution judiciaire s'était trompée le vendredi soir". Après le drame, "toute la communauté a pris pour elle cette sanction" de priver d'obsèques certains de ses membres. "Ils se sont dit : 'on ne sort pas (de prison) parce qu'on est la communauté des gens du voyage'", explique-t-il.

"Quand on est victimes on ne s'occupe pas de nous". "Il y a eu le sentiment que nous, les manouches, quand on fait quelque chose, on nous tombe dessus en premier, et quand on est victimes, on ne s'occupe pas beaucoup de nous", renchérit Me Stéphano Daquo, avocat de deux autres prévenus.

"On ne fait pas pression sur la justice et sur l'Etat en bloquant une autoroute", rétorque Bernard Farret, procureur d'Amiens. D'autant, selon le magistrat, que "ceux qui sont poursuivis ne sont pas tous des proches des victimes".

Un procès plus long que prévu. La société d'autoroute Sanef, qui avait annoncé avoir perdu un demi-million d'euros à cause du blocage (dont 100.000 euros représentant le coût des dégâts), ainsi qu'une collectivité publique locale, un fast-food et un supermarché, où avaient été volés des pneus et des palettes, se sont portés partie civile, selon le parquet.

Signe que l'affaire est complexe, le procès, qui devait initialement se tenir le 12 janvier, a été renvoyé par la présidente qui souhaitait que les débats aient lieu sur deux jours.