Incendie d'un bar à Rouen : "J'aurais préféré mourir avec eux", assure un des gérants

Le 5 août dernier, 14 personnes avaient trouvé la mort dans l'incendie du sous-sol du Cuba Libre, à Rouen.
Le 5 août dernier, 14 personnes avaient trouvé la mort dans l'incendie du sous-sol du Cuba Libre, à Rouen. © CHARLY TRIBALLEAU / AFP
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Nacer, un des exploitants du Cuba Libre où 14 personnes ont perdu la vie dans un incendie début août à Rouen, n'a pas caché sa responsabilité ni les défauts de sécurité de son établissement.

"Tout est de ma faute". Devant les enquêteurs, Nacer B., 45 ans, propriétaire du fonds de commerce et salarié du Cuba Libre s'est effondré. C'est dans le sous-sol du bar qu'il gère avec son frère Amirouche, 37 ans, que 14 personnes sont mortes dans un incendie déclenché par des bougies d'anniversaire, le 5 août dernier. Une fête pour les 20 ans d'Ophélie, l'une des victimes. Les deux frères, mis en examen pour homicides involontaires par violation délibérée d'une obligation de sécurité, ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire

Au cœur de l'enquête : les manquements en matière de sécurité, notamment dans la cave, un ancien débarras réaménagé, sur laquelle le parquet de Rouen ne communique pas selon Le Parisien. Les avocats des frères ne s'expriment pas : les déclarations de leurs clients aux enquêteurs sont accablantes. 

"Deux bougies de type feu de Bengale". La veille du drame, une amie d'Ophélie était passée au bar : elle avait prévenu les patrons de la venue d'une dizaine de personnes et leur avait demandé d'acheter un gâteau. Le lendemain, le 5 août, Nacer prend son service vers 18 ou 19h. Amirouche, son frère, est déjà au sous-sol, pour finaliser les préparatifs.  "Petit à petit, les gens sont arrivés. Vers 23h30, il y avait du monde", se souvient-il devant les enquêteurs. Vers minuit, c'est l'heure du gâteau et des chants d'anniversaire. Sur la tarte aux pommes, Nacer place "deux bougies de type feu de Bengale".

"Laisse-moi, je descends !". "J'ai vu arriver le feu qui venait de l'escalier, comme une boule de feu". Nacer pousse alors les clients vers la sortie, demande à ce qu'on appelle les secours. Son frère se souvient qu'il a oublié d'ouvrir la porte du sous-sol. Avec un extincteur, il veut descendre dans la salle du bas. Nacer l'en empêche. "Laisse-moi, je descends !", lui répond Amirouche. 

Une porte coupe-feu d'occasion. Pourquoi la porte de secours du sous-sol était-elle verrouillée ? A cause d'une habitude prise par les deux frères depuis qu'ils ont effectué des travaux, explique Nacer qui précise toutefois que "normalement, elle est ouverte chaque fois que la salle du bas est [accessible]", les vendredis et les samedis soirs. "Ce jour-là, j'ai oublié de l'ouvrir", confesse Amirouche. Impossible à ouvrir de l'extérieur, cette issue de secours était en fait une porte coupe-feu d'occasion affublée d'une serrure rachetée à un commerçant, surmontée d'une barre antipanique... montée à l'envers par les deux frères et un ouvrier.

Une porte doublement montée à l'envers, selon les enquêteurs, puisque, recouverte de mousse non ignifugée, la serrure se trouvait à l'intérieur, au lieu d'être à l'extérieur.

Un sous-sol absent du contrat de location-gérance . Aux enquêteurs, Nacer le concède : personne n'a vérifié la conformité des travaux du sous-sol dont l'aménagement n'apparaît sur aucun contrat de location-gérance signé en 2015. Hormis pour les clients, la salle du bas était inconnue de tous. C'est en 2010, après des plaintes du voisinage concernant le bruit, que germe dans l'esprit de Nacer de "faire descendre les gens". Banquettes, tables basses, fumoir, système de désenfumage, coin pour le DJ, les travaux sont achevés en 2013.

"Si je n'avais pas donné la bougie...". Nacer confie également ne jamais avoir eu "de formation à la réglementation" et ignore dans quel catégorie se classait son bar : "Je n'ai rien vérifié". Il n'a pas non plus sollicité d'autorisation. Plusieurs fois, le patron répète que son objectif était "que la musique ne dérange plus personne". "Si je n'avais pas fait ces travaux, rien ne serait arrivé. Si je n'avais pas donné la bougie, rien ne serait arrivé. Tout est de ma faute".