L'ex-électricien de Picasso jugé pour le recel de 271 œuvres

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Chloé Pilorget-Rezzouk avec AFP , modifié à
Mardi s'ouvre le procès, à Grasse, d'un ancien électricien de Picasso et de son épouse, qui ont conservé 271 œuvres de l'artiste durant 37 ans. Tous deux comparaissent pour "recel", sur plainte des six héritiers de l'illustre peintre.

L'info. Ce ne sont pas moins de 271 œuvres que les époux Le Guennec entreposaient depuis 37 ans dans le garage de leur maison de Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes. Leur procès s'ouvre, mardi, pour trois jours devant le tribunal correctionnel de Grasse qui devra répondre à cette question : le couple a-t-il bénéficié d'un don de Jacqueline Picasso, comme il l'avance, ou les œuvres ont-elles été conservées malgré leur origine frauduleuse ?

Tout commence début septembre 2010. Pierre Le Guennec, accompagné de son épouse, se rend à Paris auprès de la Picasso Administration. Dans sa valise à roulette qu'il traîne jusqu'à la rue Volney dans le 2e arrondissement de Paris, le retraité trimballe 271 œuvres de Picasso. Il souhaite obtenir des certificats d'authentification. L'homme de 75 ans est loin d'imaginer qu'il va alors s'attirer de sérieux ennuis. C'est Claude Picasso, enfant du maître et de Françoise Gilot, administrateur, qui est le seul habilité à accorder cette certification. A la découverte de ces œuvres, l'héritier est stupéfait. Fin septembre, son avocat, Me Neuer porte plainte contre X pour recel, au nom des six héritiers du peintre. Une enquête est alors lancée, entraînant la saisie de toutes les œuvres par l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). Puis, en mai 2011, les époux le Guennec sont mis en examen pour "recel de biens provenant d'un vol". 

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Un don du peintre et de sa femme… Pierre Le Guennec et son épouse Danielle doivent désormais expliquer devant la justice comment ils sont entrés en possession d'une telle quantité d'œuvres. Cet ancien électricien et homme à tout faire de l'artiste espagnol affirme que les œuvres lui ont été données par Picasso et son épouse Jacqueline, lorsqu'il effectuait des travaux dans leur mas Notre-Dame-de-Vie à Mougins, dans les Alpes-Maritimes, la dernière demeure de l'artiste, décédé en 1973.

180 pièces et 91 dessins. "Il m'invitait souvent à prendre un gâteau, un café, on parlait de tout et de rien avec le maître", a raconté Pierre Le Guennec, en 2010. Un soir, Jacqueline lui tend un "petit paquet" en lui disant "c'est pour vous". "Quand je suis revenu à la maison, j'ai vu des esquisses, des dessins au crayon, je n'y connaissais rien... Si Madame m'avait donné une peinture, là oui ça m'aurait fait drôle !", a-t-il expliqué. Le "paquet" en question est composé de 180 pièces, dont six petites huiles sur toile, 28 lithographies (dont 14 fois la même), des études, et de deux carnets comprenant 91 dessins. Des collages cubistes très rares et précieux, représentant seulement 10% de la production de l'artiste, font notamment partie du lot. Les œuvres, non signées, s'échelonnent entre 1900 et 1932. Or, "Picasso signait au dernier moment, pour les donner ou les vendre", rappelle un administrateur de la succession Picasso. Le "cadeau", dont la valeur totale est estimée à au moins 60 millions d'euros, est remisé près de 40 ans sur l'étagère d'un petit bureau, au fond du garage des Le Guennec. 

Ou un vol ? Pour les héritiers et leurs avocats, l'hypothèse du don ne tient pas la route. L'ancien électricien dispose seulement d'une brochure d'exposition dédicacée en 1971. "Cela montre leur niveau de proximité !", assène Me Neuer, avocat de Claude Picasso, fils du peintre et administrateur de la Picasso Administration qui authentifie les œuvres et gère les droits. "Picasso n'était pas quelqu'un d'inconscient de ses œuvres, il ne donnait pas n'importe comment", avance l'avocat. Jean-Jacques Neuer pointe aussi la légèreté du couple lorsqu'il s'agit de préciser les circonstances du cadeau : "Ils ne se souviennent de rien, s'ils ont reçu ce don en 1970, 1971, 1972...", souligne-t-il. "Si on vous donne 271 Picasso, vous vous en souvenez !"

Lors du procès, les avocats des héritiers n'auront pas besoin de désigner un voleur mais devront démontrer par un faisceau d'indices que le couple "connaissait l'origine frauduleuse des œuvres", explique une magistrate. L’enquête n’a en effet pas prouvé le vol des œuvres, mais le couple est soupçonné de "détention frauduleuse" ; un délit puni par cinq ans de prison et 375 000 € d’amende. Le tribunal de Grasse aura trois jours pour se faire son idée.