Fraude à la taxe carbone : le "casse du siècle" à la barre

© PHILIPPE HUGUEN / AFP
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C.P.-R. avec AFP
Douze suspects sont soupçonnés d'avoir orchestré une fraude massive sur le marché des quotas d'émission de CO2. Ils auraient ainsi détourné près de 300 millions d'euros de TVA.

C'est, d'après la Cour des comptes, l'une des fraudes "les plus élevées jamais identifiées par l’administration fiscale". A partir de lundi, et jusqu'au 30 mai, douze prévenus et deux sociétés sont jugés devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour escroquerie et blanchiment en bande organisée, dans l'un des volets de ce que l'on a appelé "l'escroquerie à la taxe carbone". Exploitant une faille du système du marché carbone européen, ils sont soupçonnés d'avoir détourné près de deux milliards d'euros que le fisc français aurait dû empocher. Europe 1 fait le point sur cette affaire complexe dans laquelle l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations, constitués en parties civiles, paient un lourd préjudice.

  • Pourquoi parle-t-on de "casse du siècle" ?

Cette fraude a été surnommée "le casse du siècle" ou encore "l'escroquerie du siècle" en raison de son ampleur, mais aussi de son ingéniosité. Pour détourner tout cet argent, les escrocs n'ont pas eu besoin d'user de violence. Cette équipe d'arnaqueurs très rodés, issus pour la plupart de ce que les enquêteurs nomment le "milieu affairiste franco-israélien", a simplement exploité "trois failles originelles du système d’échange européen", indiquait la Cour des comptes dans son rapport annuel de 2012. Dans les colonnes de Vanity Fair, Cyril Astruc, l'un des cerveaux présumés de l'escroquerie, placé sous contrôle judiciaire, s'étonnait en septembre dernier : "La faille du système était énorme. Je me demande toujours comment des États ont pu mettre en place un machin pareil." Savamment organisée, l'arnaque est d'autant plus impressionnante qu'elle s'est déroulée en un temps relativement court : d'octobre 2008 jusqu'en juin 2009, lorsque la Caisse des dépôts, responsable de la bourse aux quotas de carbone, a découvert la gigantesque arnaque.

  • Comment fonctionnait l'escroquerie ?

Pour parvenir à s'accaparer des millions d'euros, les ingénieux escrocs ont donc profité des débuts du système des dits "droits à polluer". Afin de limiter l'émission de gaz à effets de serre, et lutter contre le réchauffement climatique, l'Union européenne a mis en place en 2005 un marché de quotas européens. Dans ce système d'échange, les entreprises pollueuses doivent s'acquitter d'une taxe lorsqu'elles dépassent le seuil de pollution au CO2. Et celles ayant moins émis de rejets peuvent, elles, vendre des "droits à polluer".

L'arnaque consistait, via des sociétés fictives créées pour l'occasion, à entrer dans ce marché des "droits à polluer". Les suspects ont appliqué le système du "carrousel". Ils achetaient ainsi des quotas de dioxyde de carbone hors taxe à des pays de l'Union européenne, afin de les revendre ensuite en France sur le marché carbone, à un tarif comprenant la TVA s'élevant à 19.6%. Mais celle-ci, n'était en réalité jamais reversée à l'Etat français. Avec les bénéfices des ventes, les escrocs réinvestissaient dans un autre achat, et ainsi de suite.   

Le blanchiment de l'argent passait par des montages bancaires complexes à l'étranger : des sommes ont été décaissées en Israël via une société financière – également renvoyée au tribunal -  ou lors d'opérations dans des casinos. 

  • Combien d'argent ont-ils détourné ?

A l'échelle européenne, le préjudice de l'arnaque s'élèverait à 5 milliards d'euros, selon Europol. Pour le fisc français, la fraude constituerait au total 1.6 milliard. L'affaire, à la fois tortueuse et colossale, a donné lieu à l'ouverture d'une vingtaine de procédures judiciaires, dont le parquet financier national est pour la plupart saisi. En 2014, l'un des dossiers étroitement lié à celui-ci a été jugé en appel. Il a abouti à la condamnation de Michel Keslassy – en fuite et vraisemblablement réfugié en Israël -, à cinq ans de prison et 65 millions d'euros de dommages et intérêts, correspondant au montant de TVA éludé.

En ce qui concerne le volet jugé à partir de ce lundi au tribunal correctionnel de Paris, le montant de la TVA éludée s'élève à 283 millions d'euros. La découverte, en juin 2009, de l'ampleur de l'escroquerie avait d'ailleurs amené l'Etat français à exonérer les opérations de TVA durant le mois concerné, en France. Les comptes de plusieurs suspects, garnis de millions d'euros, des appartements et des biens de luxe ont été saisis au cours de l'enquête.

  • Qui sont les suspects ?

La justice a affaire à une nébuleuse de "golden boys", d'hommes d'affaires franco-israéliens disposant de nombreuses connexions dans cet Etat du Proche-Orient. La plupart seront d'ailleurs jugés en leur absence, réfugiés en Israël, bien à l'abri de la justice française. Six font l'objet d'un mandat d'arrêt. Mais parmi les présents au procès, on retrouve l'une des figures emblématiques de cette escroquerie : Arnaud Mimran, 44 ans, gros joueur de poker et amateur de top models. Un escroc présumé capable de faire venir Puff Daddy et Pharell Williams pour la bar mitzva de son fils. Il devra s'expliquer au procès sur ce "business bordeline", comme il le qualifiait, avançant ne pas savoir que c'était illégal... Cet homme, arrêté en février 2015 à Paris, est par ailleurs soupçonné, dans une autre affaire, d'avoir commandité l'enlèvement par de faux policiers d'un trader suisse, afin de lui extorquer deux millions d'euros via des opérations boursières. Autre instigateur de la "big" arnaque désigné par les juges d'instruction : Samy Souied. Ce XXXX a été tué par balles en septembre 2010 porte Maillot, à Paris, alors qu'il était en compagnie d'Arnaud Mimran, dont il était l'associé présumé.