Bugaled Breizh : l'avocat général demande la confirmation du non-lieu

© AFP
  • Copié
François Coulon avec Chloé Pilorget-Rezzouk et AFP , modifié à
Au terme d'une longue audience de six heures, l'avocat général a demandé mardi à Rennes la confirmation du non-lieu dans l'affaire du Bugaled Breizh.

Onze ans après la mort des cinq marins, l'affaire du Bugaled Breizh revient devant la justice. Et c'est l'audience "de la dernière chance" qui s'est ouverte mardi, devant la cour d'appel de Rennes. La chambre de l'instruction a examiné en effet l'appel des familles de victimes qui contestent le non-lieu prononcé en mai 2014 par les juges d'instruction. Si elle ne confirme pas celui-ci, la cour d'appel pourra opter pour d'autres solutions. Elle peut en effet ordonner des investigations complémentaires et décider de traiter elle-même le dossier ou charger un nouveau juge d'instruction de cette mission. Pour sa part, l'avocat général a demandé  la confirmation du non-lieu prononcé l'an dernier dans cette affaire. La décision a été mise en délibéré au 13 mai. Aussitôt après la fin de l'audience, Me Dominique Tricaud, l'un des avocats des familles des victimes de ce naufrage, a dénoncé un "déni de justice".

"Ça passe ou ça casse". Devant la cour d'appel, les familles ont dressé une grande banderole "Bugaled Breizh" avec les prénoms des cinq pêcheurs disparus et cette mention "On ne vous oublie pas". Car les proches des pêcheurs décédés dans le naufrage continuent de croire que le chalutier breton a été envoyé par le fond par un sous-marin, pris dans ses filets, alors que se déroulaient dans la zone des manœuvres de l'Otan avec des sous-marins de diverses nationalités, y compris français. Le Bugaled Breizh, dont le nom signifie "enfants de Bretagne", avait pour port d'attache Loctudy, dans le Finistère. Le chalutier avait sombré en Manche, au sud-ouest de l'Angleterre, le 15 janvier 2004. Pour Me Christian Bergot, avocat des familles, c'est l'audience de la dernière chance : "Ça passe ou ça casse. Si le non-lieu est confirmé, le dossier est mort."

Thierry Le Métayer, fils de Georges, un pêcheur noyé dans le naufrage, en a parfaitement conscience : "On sait bien que c'est la dernière étape, que probablement, malheureusement, la décision est déjà prise. Mais en même temps, ça n'empêche pas de se bagarrer, de dire que c'est indigne, inique, que ce n'est pas digne de la France", a-t-il déclaré au micro d'Europe 1. 

Ne pas oublier "le facteur humain". "Je mets en garde les gens qui disent que ça va s'arrêter, je leur dis qu'ils n'oublient pas le facteur humain. […] Que ces gens ne croient pas être définitivement débarrassés des familles du Bugaled Breizh. De toute façon, un jour, nous saurons. Et les gens qui ont menti en seront comptables", a-t-il poursuivi, ému. Si Thierry Le Métayer est parfois découragé, il pense à son père "tous les jours" : "Je me bats pour lui, c'est la moindre des choses, et pour que les marins pêcheurs arrêtent de payer un tribut aux exercices militaires", a-t-il conclu.

Une enquête gênée par le secret défense. Confortées par une première instruction en 2008, selon laquelle l'hypothèse du sous-marin était "la plus sérieuse", les familles des victimes voudraient au minimum que l'État reconnaisse sa responsabilité dans ce drame. Me Bercot l'a annoncé : "Je vais demander à la cour de poursuivre les investigations" dans la lignée des éléments apportés par l'expert, a-t-il expliqué. Ce dernier, ancien sous-marinier, avait remis à la justice, avant le non-lieu, une "note très circonstanciée" concernant la présence sur zone d'un sous-marin américain, mais cette piste n'a pas été explorée.

L'instruction du dossier, close le 3 juillet 2013, s'est heurtée à plusieurs reprises au secret défense et n'a pas validé la thèse du sous-marin, qu'il soit américain ou britannique. Mais des langues peuvent encore se délier veut croire Dominique Launay, le président de l'association SOS Breizh : "Un sous-marinier, présent le jour du naufrage, qui nous donne quelque éléments supplémentaires. On sent aujourd'hui que ça commence à venir, les familles ont besoin de leur aide. Je suis persuadé que d'ici deux mois, un an, deux ans, les choses vont sortir. [...] Ce sous-marinier dit qu'il y était et que le sous-marin français Le Ruby était peut-être pas là où il dit être. Il a été annoncé comme étant très éloigné des côtes françaises, mais aujourd'hui, nous n'en sommes vraiment plus sûrs avec ce genre de témoignage. Et ce n'est pas le premier."

L'armateur du chalutier, Michel Douce, après avoir quant à lui écrit au au président de la République pour lui demander une audience, a reçu ces dernières semaines un courrier dans lequel le chef de l'Etat exprime sa compassion mais renvoie vers la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Quant au ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, il a répondu à l'armateur que "la justice n'a pas établi de lien entre ces manœuvres et le naufrage et qu'aucun engagement de l'Etat dans cet accident n'a pu être démontré".

>> LIRE AUSSI - Bugaled Breizh : la thèse du sous-marin s'éloigne

L'impartialité de la cour d'appel mise en question. La cour d'appel de Rennes a par ailleurs rejeté, vendredi, la demande des familles qui voulaient récuser le magistrat présidant l'audience. Selon Dominique Tricaud, l'un de leurs avocats, le juge a déjà pris position dans ce dossier puisque, fin 2013, il avait rejeté, sans laisser statuer la chambre de l'instruction, un appel des parties civiles suite au refus des juges d'instruction d'ordonner des investigations complémentaires. Mais la cour a estimé que ce magistrat n'avait à aucun moment "exprimé une opinion définitive sur le fond du dossier" et pouvait bien présider l'audience. L'avocat de l'armateur du Bugaled, Michel Kermarrec, a demandé quant à lui le dépaysement de l'appel en raison selon lui de la "partialité de la cour d'appel de Rennes".