Affaire Grégory : Murielle Bolle, celle qui détient peut-être la vérité

Murielle Bolle 1280 JEAN-CLAUDE DELMAS / AFP
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Anaïs Huet
Elle n’avait que 15 ans quand l’affaire Grégory a éclaté, et au vu de ses révélations et rétractations, c’est peut-être elle qui en tient la clé. Plus de 32 ans après les faits, elle a été placée en garde à vue mercredi.

Le grand public se souvient de son visage pâle et tacheté d’adolescente, de ses cheveux roux bouclés, et de son émotion lorsqu’en 1984, elle accuse les gendarmes,  face caméra, d’avoir influencé son témoignage pour permettre l’interpellation de son beau-frère Bernard Laroche. Murielle Bolle n’avait que 15 ans à l’époque. Mais déjà, chacun sentait que c’était d’elle que pouvait venir la réponse à l’énigme : qui a séquestré, tué et jeté dans les eaux de la Vologne Grégory Villemin, quatre ans ?

Mercredi, Murielle Bolle, 48 ans aujourd’hui, a été interpellée à son domicile pour être entendue par les enquêteurs. Deux semaines après les incroyables rebondissements qui ont conduit à la mise en examen de Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, c’est désormais à ce témoin-clé de raconter à nouveau sa journée du 16 octobre 1984.

Première version, et première révélation. Retour plus de 32 ans en arrière. Bernard Laroche, cousin germain de Jean-Marie Villemin, est dans le viseur des enquêteurs. Son écriture ressemble à celle du corbeau, auteur des lettres de menaces et de revendication adressées à la famille Villemin. Il est d’abord placé en garde à vue, mais faute d’éléments probants, il est relâché au bout de 24 heures. Les gendarmes s’accrochent pourtant à cette piste, et tentent de retracer l’emploi du temps exact de Bernard Laroche, le jour du meurtre de Grégory. Le cousin affirme être allé à Aumontzey, un village tout proche, et sa version est corroborée par sa jeune belle-sœur, qui affirme l’y avoir vu. Mais très vite, Murielle craque. Le vendredi 2 novembre, devant les enquêteurs, elle explique qu’en fait, Bernard Laroche est venu la récupérer à la sortie du collège, en voiture, et qu’elle n’est donc pas montée, comme habituellement, dans le car de ramassage scolaire.

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Bernard Laroche a-t-il déposé Grégory à Docelles ? Murielle indique que la voiture de Bernard Laroche effectue un premier arrêt à Lépanges -sur-Vologne, le village où vivent Grégory Villemin et ses parents. Le petit garçon serait alors monté dans l’automobile. Puis elle fait état d’un second arrêt sur une place de Docelles, le village où le corps du garçonnet a été retrouvé. Elle affirme avoir vu Bernard Laroche partir avec Grégory, puis revenir seul à la voiture, quelques minutes plus tard. Sur la banquette arrière se trouvait également Sébastien, le fils de Bernard et Marie-Ange Laroche. Murielle explique qu’elle était en train de s’en occuper, et qu’elle n’a pas prêté attention aux agissements de son beau-frère. Toutefois, à aucun moment l’adolescente n’indique aux enquêteurs avoir assisté au ligotage et au jet dans la rivière de Grégory.

La remise en liberté de Murielle, un tournant. Ce témoignage, aussi intrigant que retentissant, Murielle Bolle va le répéter devant plusieurs gendarmes. La collégienne est placée en garde à vue. Le procureur souhaite que le juge Lambert, en charge de l’affaire, vienne entendre la jeune fille. Mais ce dernier préfère laisser passer le week-end pour ne l’interroger que le lundi. Murielle Bolle est donc remise en liberté, et retourne dans sa famille. Le lundi arrive et l’adolescente confirme son témoignage auprès du juge. Bernard Laroche est arrêté dans la foulée, devant une nuée de journalistes.  Le 5 novembre, il est inculpé de l’assassinat de Grégory, sur la base du "témoignage capital" de Murielle Bolle, selon Jean-Michel Lambert.

Mais le lendemain, les certitudes s’effondrent. La famille de Murielle Bolle convie les journalistes à son domicile. Devant les micros et les caméras, l’adolescente se rétracte et met en cause les gendarmes. « Ils ont dit qu’ils me placeraient dans une maison de correction si je ne disais pas ça au juge », lâche-t-elle. Murielle Bolle, émue, apeurée, assure : "Non, je n’étais pas dans la voiture de Bernard. Et puis je n’ai jamais été sur Lépanges, tout ça… Où le gosse a été noyé. J’ai jamais été là. Je ne connais pas Lépanges, ni Docelles. Bernard est innocent. Mon beau-frère est innocent. J’ai jamais été avec mon beau-frère".

Des pressions subies par l’adolescente ? Les gendarmes estiment que c’est le retour de Murielle Bolle dans sa famille qui est à l’origine de ce revirement, que la jeune fille n’a pas été protégée, ni de la presse, ni de ses proches.  Mais c’est trop tard, la piste Laroche est décrédibilisée. Bien qu’il demeure inculpé du crime, l’homme est remis en liberté le 4 février 1985. Moins de deux mois plus tard, le 29 mars, il est assassiné par Jean-Marie Villemin, persuadé de la culpabilité de son cousin.

Depuis, Murielle Bolle conserve sa version, celle qui innocente son beau-frère. En 1993, aux assises de Dijon pour le procès du père de Grégory, la jeune femme, désormais âgée de 24 ans et mère de deux enfants, ne déroge pas, malgré les contradictions soulignées par le président entre les différents témoignages. Le conducteur du car scolaire affirme par exemple que Murielle n’est pas montée dans son bus, à la sortie du collège, le 16 octobre 1984. Une version confortée par des camarades de Murielle, qui ne l'ont pas vu dans le car. Avec assurance, la jeune femme maintient : "J'étais pas avec Laroche. J'étais dans le car. J'ai accusé Bernard Laroche devant les gendarmes parce que j'avais peur".

La réponse à une énigme ? Pendant plus de deux décennies, Murielle Bolle s’est éclipsée de cette vie médiatique qu’elle n’avait pas choisie. En 1993, elle expliquait ne pas réussir à trouver de travail parce que l’affaire Grégory lui collait à la peau.

Mercredi, elle a été interpellée chez elle, à Grange-sur-Vologne, et placée en garde à vue. Après la mise en examen des époux Jacob, le clan Laroche est à nouveau dans le viseur des enquêteurs. 32 ans après les faits, la vérité viendra-t-elle de Murielle Bolle  ?