La SNCF poursuivie aux prud'hommes par ses cheminots étrangers

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JUSTICE - 832 cheminots de nationalité ou d'origine marocaine dénoncent une inégalité de traitement et réclament réparation.

C’est une affaire dans laquelle la SNCF joue gros, tant symboliquement que financièrement. Le Conseil des prud'hommes de Paris a entamé lundi l'examen des recours pour discrimination déposés contre la compagnie ferroviaire par 832 cheminots de nationalité ou d'origine marocaine. Ces derniers accusent la SNCF de discrimination, tant dans leur carrière que pour leur retraite : alors que les employés bénéficiaient du statut de cheminots, eux n’ont eux droit qu’à un statut de droit commun, bien moins avantageux.

Qui sont ces "Chibanis" qui poursuivent la SNCF ? Ce terme, qui signifie "cheveux blancs", désigne les travailleurs immigrés en France pour répondre à la pénurie de main d’œuvre et resté dans l’Hexagone après leur carrière. Un flux migratoire entamé pendant les années 1960 lorsque "la France est encore en plein emploi, et les candidats ne se bousculent pas pour occuper certains emplois à forte pénibilité proposés par la SNCF. Pour y remédier, l’entreprise traverse la Méditerranée et y recrute au total quelque 2.000 Marocains, dans le cadre d’une convention signée en 1963 entre ce pays et la France", rappelle Les Echos. 832 de ces cheminots, dont une partie ont depuis acquis la nationalité française, retrouvaient lundi leur ancien employeur.

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De quoi la SNCF est-elle accusée ? La compagnie ferroviaire a employé ces travailleurs avec un contrat de droit privé, un CDI classique, et non sous le statut de cheminot. Ce qui, à l’époque, était tout à fait légal est, avec le temps, apparu injuste aux yeux des principaux concernés : à travail égal, les travailleurs immigrés gagnaient le même salaire mais leur carrière a rarement suivi celles des autres employés de la SNCF. Et à la retraite, la différence avec ceux bénéficiant du statut de cheminot est encore plus criante mais il est trop tard : ils ne peuvent pas se voir attribuer ce statut a posteriori, même s’ils ont entre temps acquis la nationalité française.

Les premiers recours sont donc déposés dès 2005 mais, face à la complexité de ce dossier, les tribunaux des prudhommes n’arrivent pas trancher et ne cessent de repousser cette affaire. Qui remonte donc au Conseil des prud'hommes de Paris.

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"Nous étions les ‘indigènes du rail’". Plusieurs Chibanis ont donc confié leur sentiment de s'être fait "arnaquer". "Il faut que la justice soit faite. Ils disaient ‘travail égal, salaire égal’ mais cela n'a pas été le cas. A la retraite, on a eu des miettes, on s'est rendu compte qu'on avait été arnaqués", explique à l'AFP un plaignant de 68 ans. "On a dit que nous étions les 'indigènes du rail', comme il y a eu les combattants marocains, c'est vrai. On a contribué à l'essor de la France", estime Ksioua Ghaouti, 66 ans, qui a fait sa carrière à la gare de triage de Strasbourg. Et ce dernier d’ajouter : "il fallait voir le travail, la nuit, à composer les trains, je connais trois collègues qui ont eu le bras coupé".

Un enjeu qui se chiffre en millions. En "réparation", les plaignants réclament donc en moyenne 400.000 euros de dommages et intérêts chacun, dont la moitié au titre du préjudice de retraite, le reste pour les carrières. Un argument que rejette catégoriquement la SNCF, qui rappelle qu’elle a respecté la loi lors de l’embauche de ces travailleurs, même si des textes internationaux ratifiés par la France (convention européenne des droits de l’homme, conventions l’Organisation internationale du Travail) peuvent laisser penser le contraire. Seule certitude, si la SNCF est condamnée, il pourrait lui en coûter plus de 300 millions d’euros. Face à un tel enjeu, le Conseil des prud'hommes de Paris a préféré se laisser le temps de la réflexion : il a annoncé qu’il rendra sa décision le 21 septembre.

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