Jugé pour avoir fait rouler des chauffeurs d'Europe de l'Est

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Noémi Marois avec AFP , modifié à
EMPLOI - Le leader français du transport routier, Dentressangle, est jugé à partir de mercredi pour "travail dissimulé".

Le tribunal correctionnel de Valence s'intéresse de près, à partir de mercredi, à 1.000 chauffeurs qui, entre 2005 et 2012, ont travaillé pour le groupe de transport routier Norbert-Dentressangle. Leur particularité ? Ils ne sont pas Français. Originaires du Portugal, de Roumanie et de Pologne, ils ont été employés par le transporteur en échange de salaires relevant de leurs pays d'origine. En 2011, le syndicat CFTC avait porté plainte contre ces pratiques. Dumping social ou délocalisation dans le respect des règles européennes ? La justice rendra son jugement vendredi. 

Recherche de compétitivité... Pour Dentressangle, basé dans la Drôme, ces embauches se sont faites légalement. Alors que six de ses cadres et trois sociétés du groupe sont poursuivis pour "délit de marchandage", "prêt de main d'œuvre illicite" et "travail dissimulé", l'entreprise se défend en invoquant le respect des règles européennes ainsi que la recherche de compétitivité. Le transport routier français a en effet beaucoup souffert de la concurrence étrangère quand il s'agit de transporter des marchandises à l'échelle internationale. 

"Est-ce que Norbert Dentressangle a le droit de se développer en Europe ? On ne pose pas cette question aux constructeurs automobiles", a déclaré le président du directoire, Hervé Montjotin, faisant référence ainsi à d'autres entreprises françaises qui délocalisent une partie de leur activités en Europe de l'Est, comme Renault en Roumanie.

... ou "sous-traitance low-cost" ? Le chef de la CFTC chez Dentressangle, Pascal Gourment, ne l'entend pas de cette oreille. Pour son syndicat, ces pratiques ne sont rien d'autre que de la "sous-traitance low cost" et du "dumping social" puisque les chauffeurs étrangers sont payés à des salaires "nettement inférieurs" à ceux des Français. 

Pascal Gourment déplore que Dentressangle abuse du principe dit de "cabotage de marchandises". Cette pratique autorise un transporteur à livrer des marchandises entre deux villes européennes, même s'il n'y est pas implanté.  

Dans un rapport datant d'avril 2014, le député communiste, Eric Bocquet, avait estimé que Dentressangle semblait "surexploiter sa dimension européenne et interpréter de façon erronée la réglementation communautaire". L'entreprise acheminait en effet par bus des chauffeurs de ses filiales polonaise, portugaise et roumaine jusqu'à des bases françaises où ils prenaient leur service.

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© ERIC ESTRADE / AFP

Vrai ou fausse sous-traitance ? Le tribunal correctionnel de Valence va surtout se demander si la sous-traitance de Dentressangle est fictive ou réelle. Autrement dit, ses filiales polonaise, roumaine et portugaise ont-elles été dirigées en sous-main par le siège français ou ont-elles travaillé de manière autonome ? Là est le nœud du problème. Dans le premier cas en effet, les chauffeurs doivent être payés selon les normes françaises, dans le second, ils doivent être soumis aux normes de leurs pays d'origine. 

"On faisait sous-traiter des activités de transport par des sociétés du groupe. Or, c'était le donneur d'ordre qui assumait l'organisation et la répartition du travail des sous-traitants", explique Maître George Meyer, avocat de la CFTC. Si tel a été le cas, Dentressangle se retrouve dans l'illégalité.

Pour Dentressangle, il n'en est rien : "la chaîne de commandement est bien dans les pays d'origine". Le président du directoire du groupe explique que "sur le plan juridique, nous avons fait appel à de vraies sociétés, dans le cadre de contrats de sous-traitance classiques". 

Et les bus mis à disposition des chauffeurs étrangers ? "Pour leur éviter des temps de conduite inutiles, fatigants et polluants", explique Dentressangle. Comme les flux de marchandises sont parfois déséquilibrés entre pays, "il n'y pas toujours du fret permettant aux conducteurs de revenir dans leur pays d'origine avec un chargement dans leur camion".

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