Christophe de Margerie, un investissement total dans le pétrole

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PORTRAIT - Né dans le monde feutré du champagne, il en a gardé la courtoisie pour mieux s’imposer dans le monde du  pétrole et y gravir tous les échelons.

"Aujourd'hui, les dizaines de milliers d'employés de Total sont orphelins de leur Président qui incarnait l'esprit et le goût d'entreprendre. Il avait aussi ce panache, cette volonté d'aller de l'avant, un humour si français et une finesse d'esprit qui en faisait un homme unanimement apprécié". Les propos sont signés du Premier ministre et ne doivent pas qu’aux seules formules de politesse. Car Christophe de Margerie, le PDG de Total décédé lundi soir à Moscou dans un accident d’avion, était l’un des patrons les plus influents du capitalisme français. Ce qui n’empêchait pas ce père de trois enfants d’être perçu comme un homme plein d’humour, plutôt discret et surtout très efficace. Dans le monde du pétrole, Christophe de Margerie a évité tous les excès bling bling, malgré l'un des plus gros salaires de France, pour mieux arriver à ses fins, tout en bonhommie.

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Un enfant de bonne famille qui baigne dans le champagne. Christophe Jacquin de Margerie, c’est le pétrole mais aussi le champagne. Car le patron français est le petit-fils de Pierre Taittinger, fondateur de l'empire du luxe et du champagne Taittinger. Un milieu plus qu’aisé, riche en entrepreneurs mais aussi en ambassadeurs, qui l’envoie naturellement dans un pensionnat des Alpes, à Abondance, pour se former sur les hauteurs du lac Léman.

Celui qui se décrit alors comme timide et réservé mène une jeunesse au sein de la grande bourgeoisie, à la limite corsetée. Puis c’est la découverte de la liberté et de la capitale, où Christophe de Margerie débarque pour ses études supérieures en IUT puis à l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP). "J'avais été pensionnaire... et la vie à Sainte-Croix des Neiges, en Haute-Savoie, n'avait pas grand-chose à voir avec ma nouvelle vie à Paris. Je suis passé directement d'un milieu ultra-protégé et bien rangé à la liberté de la vie estudiantine !", se souvenait-il dans les colonnes du quotidien Les Echos.

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Un homme, une entreprise, une carrière. Diplômé à 23 ans, il fait le choix de rejoindre en 1974 la direction financière de la Compagnie française des pétroles d'alors. Pressent-il qu’il y a une place à se faire au sein d’une entreprise qui vient d’être malmenée par le premier choc pétrolier ? Selon l’intéressé lui-même, les choses sont bien plus simple : "je suis entré chez Total parce que c'était l'entreprise la plus proche de chez moi !".

Cela tombe bien : l’entreprise, qui s’appelle alors la Compagnie française des pétroles, est promise à un grand avenir. Pendant que Christophe de Margerie gravit les marches, le groupe pétrolier prend une autre dimension. L'entreprise change de nom en 1991 et avale Elf en 2000. Entretemps, Christophe de Margerie, entré au comité directeur en 1992, a réussi à s’emparer d’un choix stratégique dans le petit monde du pétrole: il est devenu directeur général de Total Moyen-Orient en 1995. Un poste qui nécessite des talents de négociateurs et dont il semble avoir hérité de ses ancêtres ambassadeurs.

Quatre ans plus tard, il prend la tête de la division Exploration & Production et devient, de facto, le numéro deux du groupe. Pendant sept ans, il incarne le poste et devient naturellement le dauphin du PDG Thierry Desmarest. Lorsque celui-ci lui passe le témoin en 2006, celui qu’on surnomme déjà Big Moustache est prêt : il a l’assurance des gens bien nés, la parfaite connaissance d’un groupe où il a fait toute sa carrière et l’expérience d’un poste aussi sensible que celui de chef de la prospection. Devenu directeur général, il conclut son parcours en 2010 avec le poste de PDG.

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Un Pdg aussi puissant que discret. Le grand public le découvre au milieu des années 2000 et l’identifie grâce à sa moustache conséquente et sa bonhommie. Le capitaine d’industrie ne s’énerve jamais et a le cuir épais : lorsqu’il a accédé aux postes de direction de Total, l’entreprise pétrolière accumule les polémiques, entre naufrage de l’Erika, explosion de l'usine AZF, procès pour corruption et les nombreuses casseroles héritées du groupe Elf.

Peu après sa nomination, Christophe de Margerie a même passé plus de 24 heures en garde à vue, menotté, sans ceinture et sans lunettes, dans le cadre d'une affaire de corruption avec l'Iran. Et s’est retrouvé sur le banc des accusés lors de l'affaire "pétrole contre nourriture" en Irak. Ce ne sont donc pas les polémiques franco-françaises sur les profits de Total, ses pratiques fiscales, la fermeture de ses raffineries ou encore sa propre rémunération qui vont l’énerver. Ses réponses sont posées, souvent franches, et toujours teintées d’humour.

Un profil qui aurait pu le mener à la tête du Medef, mais Christophe de Margerie avait mieux à faire : poursuivre le développement international de son entreprise, tout en verdissant son image en investissant (un peu) dans les énergies renouvelables. Mais les fondamentaux restent là : sous sa houlette, Total se concentre au tournant des années 2000 sur la Russie, censée devenir sa principale zone de production d'hydrocarbures à l'horizon 2020. C’est d’ailleurs lors d’un voyage à Moscou que son avion s’est fatalement abîmé.

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