René Vignal, gardien volant et voleur en cage

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Voltigeur émérite sur le terrain, René Vignal s'est éloigné des cages pour finir en prison. Une longue chute qui n'enlève rien au panache du "Français volant".

Portrait de René Vignal.

Un ballon cousu cuir. Un penalty stoppé net à mains nues. Les doigts écartés du goal. Les yeux écarquillés du public. Les 120 000 spectateurs du gigantesque stade d’Hampden Park médusés pendant plusieurs secondes. Plus un bruit dans l’arène des Glasgow Rangers.

Le tireur écossais, baba, stupéfait. Le sourire du jeune gardien français du Racing qui essuie d’un revers de main, le filet de sueur qui perle sous sa casquette en laine vierge. Une gueule d’acteur, une image de cinéma de l’après-guerre. René Vignal n’a pas encore 23 ans et ce 27 avril 49, il vient d’inscrire son nom sur le fronton du temple des gardiens.

"The Flying Frenchman", l’épithète louangeuse, de la presse écossaise le lendemain. Le Français Volant, un surnom qui ne quittera plus ce jeune Biterrois, devenu l’un des plus grands goals de l’histoire du football.

Un foot d’un autre âge. Celui des Kopa, Fontaine et Di Stéphano. Le foot des galoches à crampons cloutés et des gauloises brunes dans les gradins. Les dialogues d’Audiard sur les pelouses. Le rire de Belmondo dans les tribunes. Une époque où la Hongrie dominait l’Europe et le RC Lens, la France de la première division. Le PSG n’était pas né, le Qatar découvrait le pétrole. Un foot grand-paternel où il n’y avait pas de remplaçants sur les bancs de touche et ou les joueurs achetaient des vaches avec leurs primes, en pensant à leur retraite.

Une époque où l’on venait voir les acrobaties des goals dans leurs cages. Des hommes-spectacle. Des voltigeurs-casse-cou qui partageaient leur temps entre les stades et les cabinets de chirurgiens orthopédistes. Des coups méchants, des corps démantibulés. René Vignal laissera un tas d’os sur les terrains. Cassures, fractures, fêlures, il restera même aveugle trois semaines après une collision avec un adversaire. Un foot révolu, brutal, où les gardiens montaient à la charge, parfois jusqu'aux cages ennemies, des "Kings" qui avaient tous les droits sur les gazons. Vignal était alors le plus grand des Rois !

Un règne très court : sept années passées trop vite entre 1947 et 1954. Deux saisons à Toulouse avant de signer avec le Racing, le club parisien, qui jouait à Colombes. La naissance des 50's et du "SMIG" avec un "G" à la fin. La France d’Antoine Pinay, de Jacques Tati et de François Mauriac. Le petit gars de Béziers, qui regardait sa mère coudre et son père siffler les trains, devient une star. Il possède des quadriceps de feu, une explosivité incroyable. Vignal a la vivacité de l’éclair et la détente d’un tigre. Un gardien éblouissant, qui, comme le dit le patron du Racing d’alors : "ose mettre la tête, là où nos attaquants n’oseraient pas mettre les pieds."

Le goal remplit les stades et transporte les foules. Avec lui, le Racing remportera la Coupe de France et jouera une finale du Championnat. Dix-sept fois, on viendra le chercher en équipe de France. Mais Vignal ne s’économise pas : son squelette d’1m76 prend cher sur les pelouses et il fait la java toutes les nuits à Pigalle. Le champagne Grande Réserve, les petites pépées et les costumes en Alpaga. Vignal a des amis dans tous les bars. Des vedettes et des caïds. Les Frères Jacques et les frères Guérini. Les drôles de mélange et les petits matins ensuqués.

Trop de fiestas, trop de blessures. Un bras cassé en 1954, Vignal  manchot, ce sera la fin de sa carrière internationale. Il retournera chez lui à Béziers pour s’essayer, sans succès, à l’agriculture. Pas son truc. Il représentera les Maisons Martini et Ruinart, avant d’acheter un bar à Béziers, "L’Eclair". Un verre, deux verres... L’alcool, les machines à sous, le grisbi facile et les truands qui le feront plonger.

Un braquage, deux braquages. René Vignal en avouera quatre sur les vingt-sept de l’acte d’accusation. L’ancien gardien volant devenu le gardien voleur, l’ex goal, gaulé en flag. Les menottes, le tribunal, une peine de quinze ans de prison. Il en fera 8. Toute la crème du foot de l’époque viendra à la barre défendre un type bien mais influençable. René Vignal ne se trouvera pas d’excuse. La repentance comme le sceau de sa dernière vie. Un livre de souvenirs, un peu d’immobilier. Le stade vide depuis longtemps. Les projecteurs éteints. Sur la pelouse : un ballon cousu cuir et une casquette en laine vierge.