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Résistante devenue présidente du Brésil, Dilma Rousseff a connu les pires sévices. Pourtant, elle conserve l'apparence d'une détermination absolue.

Certains l’ont connu sous le prénom d’Estella, d’autres sous celui de Wanda, quand elle ne se faisait pas appeler Luisa ou encore Vania. Autant de faux noms et d’identités bidons, que Dilma, s’était inventés sous la dictature militaire. Le camouflage de la combattante face à des généraux obsédés par l’ennemi intérieur, obnubilés par la "menace rouge". 21 années de plomb, d’enlèvements et de mort, 21 années de saloperies commises par la CIA au Brésil.

1968, Dilma a 20 ans, une jolie brune, jeune bourgeoise qui a pris des leçons de piano et des cours de français. Elle a lu Balzac, Zola et Beauvoir, et s’appelle Rousseff : avec deux "S" et deux "F", un noms venu de Bulgarie par son père, un avocat vaguement communiste, passé par la France et l’Argentine, avant de s’installer et de faire du business au Brésil : Petar est devenu Pédro.

 

Dans le regard de sa fille cette histoire paternelle se transforme. Le rêve d’une jeunesse éprise de liberté, de l’utopie à la résistance, Dilma s’engage dans la lutte armée et rejoint le  Commando de Libération Nationale. Deux années de clandestinité, une ombre, des planques, des rendez-vous secrets, des sueurs froides... Dilma apprendra à tirer, à manier le poignard de combat, fourbira des armes et braquera des banques. Au nom de la révolution, toujours...

1970, la junte a fait fuir les musiciens : Caetano Veloso et Gilberto Gill en Angleterre, Chico Buarque en Italie. Les carnavals sont tristes, la samba sonne faux...

Les crissements des pneus d’une voiture dans une rue étroite de Sao Paulo et trois hommes embarquent Dilma de force. La jeune femme a 22 ans et sera torturée pendant 22 jours. L’arithmétique des ordures... Personne n’entendra jamais ses pleurs, ne verra jamais ses cicatrices, Dilma ne lâchera jamais un seul nom.

Dans ses archives, la police secrète parlera d’une enragée, d’une "Jeanne d’Arc de la Subversion". Des bourreaux littéraires qui l'emprisonneront pendant trois ans. Son corps sera définitivement abimé mais dans ses yeux, à la sortie, une détermination qui ne la quittera plus jamais.

"Ce que la vie demande, c'est du courage", une phrase de Guimaraes Rosa, le grand écrivain brésilien que Dilma Rousseff a cité deux fois dans sa vie. En privé, avec sa fille unique, pour lui parler de son cancer, entre deux perruques. 

L’autre fois, ce sera deux ans plus tard, dans son discours d’investiture à la présidence du Brésil. La 1ère présidente de l’histoire du pays. Une "durona", comme on dit en Brésilien, une "dure", une "inflexible".

Rien à voir avec son prédécesseur et mentor : Lula, l’affabilité faite homme. L’ancien métallo-charismatique, rhéteur exceptionnel, ambianceur hors-pair. Dilma, elle, a du mal à sourire, peine à terminer ses phrases, s’énerve facilement et semble toute grise dans ses tailleurs multicolores.

L’ancienne guérillera a pourtant fait des d’efforts pour plaire. Elle a pris des cours, travaillé sa voix rauque, perdu près d’un quart de son poids, jusqu’à transformer son apparence entre les mains des meilleurs chirurgiens esthétiques. Rajeunie, méconnaissable, avouait, il y a quelques années, l’un de ses deux anciens maris, l’un comme l’autre, anciens compagnons de lutte de la présidente.

Rien ne semble pourtant avoir effacé l’apparente dureté de cette femme qui fait parfois pleurer ses ministres... Une femme que les Brésiliens n’auraient sans doute jamais plébiscitée, si elle n’avait pas été l’élue de Lula. Le masque de Dilma, derrière, une inconnue...

L’une de ses plus vielles amies, ancienne sœur de cellule sous la dictature, raconte une Dilma pétrie de douceur et d’humanité. Une rigolote, très superstitieuse, grande fan de la série "Game of Thrones". Une grand-mère gaga de son petit-fils de 6 ans, d’une sexagénaire dont le plus grand plaisir dans la vie est de faire des virées nocturnes à moto, incognito dans les rues de Brasilia.

Une femme qui ne laissera rien paraître aujourd’hui, lorsque les députés Brésiliens scelleront son sort. L’impassibilité du masque. Derrière, sans doute, une petite larme dans les yeux de Dilma.