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SAISON 2016 - 2017

Catherine Nay rend hommage à Simone Veil au lendemain de sa mort. 

Bonjour Catherine,

Bonjour Sébastien, bonjour à tous...

Une émotion sincère a submergé la France hier, à l'annonce du décès de Simone Veil... Les uns saluant la rescapée des camps, sa lutte contre le racisme et l'anti-sémitisme... les autres énumérant ses combats, le féminisme, la dépénalisation de l'avortement, l'Europe, la justice sociale... Et pour vous, Catherine Nay ?

On ne choisit pas dans le parcours de cette femme d'exception...  parce que toutes ses causes, ses combats, sont indissociables d'elle... D'une force de caractère inouïe, inhérente à sa personnalité... Et ce n'est pas son face à face avec le mal absolu à Auschwitz qui l'avait forgée... Simone Veil est née rebelle... Elle-même l'a dit : il fallait du caractère, de l'agressivité pour résister dans les camps, pour survivre, pour protéger sa sœur, sa mère adorée, morte du typhus, 15 jours avant la libération du camp par les Anglais... sa mère, dont elle avait hérité la beauté, la droiture et qui conseillait à ses filles d'avoir un métier, d'être indépendante...

Vous parlez de sa beauté, de son physique...

Oui, Simone Veil, c'était une beauté souveraine, un visage que les épreuves n'avaient miraculeusement pas altéré, avec un regard gris-vert, que l'on dit pers, étrange, qui vous fixait, souvent dur, parfois tendre aussi... où l'on lisait le vécu d'une tragédie indélébile comme le matricule tatoué qu'elle portait au bras... Par tout ce qui émanait d'elle, elle en imposait... Et disons-le, on n'en menait pas large parce qu'elle pouvait être cassante, violente : "Mon premier réflexe est de toujours dire non"... Elle avait des idées tenaces... Mais on l'admirait, parce que dans les grands débats sur l'IVG, l'Europe, on la voyait solide comme un roc, insubmersible... Elle n'était pas une grande oratrice... On peut même dire qu'elle parlait plat... Mais qu'importe... Elle s'imposait... On la respectait...

Vous parlez du débat sur la dépénalisation de l'avortement... L'hémicycle, à majorité d'hommes --il n'y avait que 9 femmes-- ne l'a pas épargnée...

Pendant trois jours, elle a entendu les pires injures... On l'accusait, elle, la rescapée des camps, d'organiser un génocide légal, de jetter les bébés au four crématoire... La voiture de son mari était taguée de croix gammées... Dans la rue, les injures anti-sémites... Mais elle a tenu bon, sans faillir, sans faiblir... Plus tard, quand on lui demandait si elle en tirait quelque fierté, modeste, elle expliquait qu'elle était satisfaite parce que c'était très important pour les femmes de ne plus devoir risquer leur vie avec des avortements clandestins... Quand elle n'avait pas les moyens d'aller le faire médicalement ailleurs... Mais pour elle, la vraie révolution pour les femmes avait été l'arrivée de la pilule, en 67... Grâce à Lucien Neuwirth et au Général de Gaulle, les femmes devenaient maîtresses de leur corps... C'était "un enfant quand je le veux"... Ce qui avait beaucoup perturbé les hommes qui s'étaient sentis frustés, anxieux, touchés dans leur virilité puisqu'ils n'étaient plus les maîtres de la procréation.

Et puis il y a eu l'Europe... Elle est devenue la première présidente du Parlement Européen...

Oui, et ce au terme d'une élection où elle avait face à elle trois concurrents... François Mitterrand, Jacques Chirac, Georges Marchais... On se souvient du débat où elle leur avait tenu tête... Et d'un accord entre Valéry Giscard d'Estaing et le Chancelier allemand Schmidt... Oui, ce poste lui revenait de droit... Elle, qui avait connu la barbarie et vu l'indicible, était symbolisait cette réconciliation avec l'Allemagne qu'elle appelait de ses vœux au lendemain de la guerre... Elle n'a jamais été dans la vengeance... Elle allait dans les écoles pour dire aux enfants que la France avait été le pays d'Europe où l'on avait déporté le moins grand nombre de juifs... façon de nous rendre notre fierté... En privé, elle osait même dire qu'on avait été injuste avec Maurice Papon... Simone Veil, on l'admirait... On l'aimait... Et on la pleure aujourd'hui...