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40 ans, après la mort de Jacques Prévert - depuis avant-hier, Raphaël Enthoven revient sur Le Roi et l'Oiseau de Paul Grimault, écrit par Prévert.

Il y a 40 ans (depuis avant-hier) que Jacques Prévert est mort. L'occasion pour vous (comme on prend l'auditeur dans ses bras en espérant qu'il se rappelle tout cela) d'évoquer Le Roi et l'Oiseau, le chef d'oeuvre de Paul Grimault, dont Prévert avait écrit le texte, et en particulier le personnage (trop méconnu à vos yeux) du grand robot

Vous avez raison d'en parler comme d'un "personnage" ! Car c'est moins qu'une personne, puisque c'est un robot. Mais c'est plus qu'un automate puisqu'il finit par tuer son maître.
Au milieu du film, surgit du sol (avec une lenteur étonnante) un robot gigantesque aux pieds plats soumis, corps et âme, au mauvais vouloir du Roi Charles-V-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize.

 

Le roi minuscule perdu au milieu de ses tours.

Pire, Thomas : à l'heure du film où le robot apparaît, le roi lui-même a déjà été supplanté par son propre portrait. Au commencement donc, le robot est une arme de mort aux ordres d'un reflet, qui détruit la ville basse où, l'instant d'avant, un aveugle musicien cherchait à savoir si le soleil existe.
C'est le robot qui capture la petite bergère et le ramoneur pour jeter ce dernier dans la fosse aux lions. Son sternum est une fanfare désaccordée qui joue la marche nuptiale comme un chant militaire. Tout en cet androïde témoigne d'un monde atroce où les escaliers sont pentus, où tout est une trappe qui peut vous engloutir, d'un monde féodal où les bergères doivent épouser les princes, où des policiers moustachus se déplacent comme des chauve-souris, et la misère, privée de lumière, est à peine tempérée par l'espoir d'un miracle.

 

Et que se passe-t-il, alors, pour que le robot change de camp ?

Eh bien, le mariage du roi et de la bergère est interrompu par le soulèvement des félins et, dans le chaos, l'oiseau prend les commandes du robot. Or, l'oiseau (qu'on présente souvent comme une figure adorable) est aussi dévoré par la vengeance à l'endroit du roi qui l'a rendu veuf en s'exerçant au tir. Du coup le robot, commandé par une haine légitime, détruit toute la ville et réduit en poussière le royaume qu'il incarnait.

 

En somme, il combat l'injustice par la violence.

Ou le feu par le feu. Exactement. Et il détruit le temple dont il avait la garde, au lieu de détruire en son nom. Or (et c'est la grande limite des processus révolutionnaires) on ne rétablit pas l'équilibre quand on corrige une injustice par une autre. Et c'est ce que comprend le robot, juste après avoir accompli son oeuvre de mort au nom de la liberté. Sur les ruines encore fumantes de la cité royale, le robot titube, s'affale devant un désastre entouré par le vide. Il a cru bien faire. Et son oeuvre est une catastrophe bordée par le néant. Alors, il devient mélancolique.

 

Il devient humain.

Oui. Libre et malheureux. Et c'est la raison pour laquelle son dernier geste est de libérer, de lui-même, sans qu'on le lui ordonne, le petit oiseau qui restait encagé.

 

La morale de l'info ?

Les révolutions sont toujours tristes.