"De la SNCF au Sida, des armes à la sélection en fac : une sourde inquiétude dans ce monde sur lequel personne ne semble avoir de prise"

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Chaque samedi et dimanche, François Clauss se penche sur une actualité de la semaine écoulée. Aujourd'hui, trois photos qui décrivent une France qui s'interroge et se cherche.

"Clauss toujours". L'humeur de François Clauss, tous les samedis et dimanches matins à 8h55 sur Europe 1. Bonjour François.

Bonjour Wendy, bonjour à tous et toutes.

Trois photographies de la semaine. Jeudi matin, devant l'hôpital de Rouen, pour accueillir Emmanuel Macron au chevet de l'autisme, 200 manifestants côte à côte, un collectif de retraités, un noyau d'étudiants, quelques salariés de Carrefour, des employés municipaux.

Trois photographies, trois instantanés, qui dessinent une mosaïque, celle d'une France 2018 fracturée socialement, générationnellement, territorialement.

Jeudi après-midi, devant la fac de Tolbiac, trois jeunes filles masquées et leur chien convoquent les caméras de télé et annoncent un blocage de toutes les universités en France. Vendredi matin, devant le ministère des transports, après sept heures de négociations, deux syndicalistes évoquent une mascarade (mais que se sont-ils donc dit pendant sept heures ?) et appellent au durcissement du mouvement. Trois photographies, trois instantanés, qui dessinent une mosaïque, celle d'une France 2018 fracturée socialement, générationnellement, territorialement.

D'un côté, le ministère des transports, un bras de fer syndical à l'ancienne, quasiment patrimonial. Mais auquel adhère, si l'on en croit les enquêtes d'opinion, un Français sur deux, soutenant "par procuration" le mouvement. Devant la mairie de Rouen et à Tolbiac, un aréopage protestataire, hétéroclite. Nos commentateurs, nos analystes, nos politiques plaquent leurs anciennes grilles de lecture, s'interrogent sur une convergence des luttes, comme si l'histoire devait se répéter un demi-siècle plus tard. Se tourner vers le passé comme antidote à l'incompréhension et au désarroi du moment.

Il faut entendre, au contraire, le trotskyste Julien Dray --c'était sur Europe 1 dimanche dernier, dans le Grand Rendez-Vous-- inquiet face à ce mouvement étudiant, si peu politisé et si mal encadré. Il faut entendre le président de la fac de Tolbiac, désemparé, qui voit sous ses yeux une ZAD s'implanter en plein Paris.

Il faut entendre les dirigeants historiques d'Act Up présenter cette semaine collectivement leur démission (moins d'un mois après le triomphe aux Césars du film "120 battements par minute"), dirigeants impuissants face à l'arrivée d'une nouvelle génération de militants, qui, au-delà du Sida, veulent combattre politiquement sur le front de l'anti-racisme et du soutien aux migrants. Il faut entendre ces millions de jeunes Américains devant la Maison-Blanche qui, au-delà du combat pour la législation sur l'usage des armes, veulent l'émergence d'un nouveau monde. Ni démocrate, ni républicain : jeunes blancs, jeunes noirs, jeunes chicanos, qui formulent clairement le désir d'une nouvelle démocratie en Amérique.

De la SNCF au Sida, des armes à la sélection en fac, comme si l'on avait besoin aujourd'hui d'un combat pour exprimer beaucoup plus : une sourde inquiétude ou une colère à fleur de peau dans ce monde mondialisé sur lequel personne ne semble avoir de prise.

Le 15 mars 1968, le journal Le Monde titrait deux mois avant les barricades : "La France s'ennuie". Le 4 avril 2018, le même journal nous demande de regarder la réalité en face - celle de l'inquiétante radicalité d'une partie de notre jeunesse - en publiant quelques extraits de cette étude menée par deux sociologues, pendant de longs mois auprès de 7.000 lycéens partout en France : montée de la radicalité religieuse. Mais aussi et peut-être tout autant politique et culturelle, radicalité de protestation, radicalité de rupture. Oui, il nous faut regarder attentivement, de Paris à Rouen, de la Maison Blanche à Tolbiac, ces trois photos de la semaine.