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Lundi, Anne Cazaubon nous invite à nous intéresser à notre colère, qui offre "une magnifique opportunité de grandir".

Anne Cazaubon, aujourd’hui, vous nous parlez de la colère…

De colère et de peinture. Mais de peinture en bâtiment, cette fois-ci, de gros œuvre ! Hier donc, alors que je consacrais mon dimanche à un énième coup de peinture sur cette étagère noire que je me suis mise en tête de repeindre en blanc (telle une métaphore des choses à clarifier dans ma vie, celles vers lesquelles j’ai envie d’orienter les projecteurs, d’éclaircir ces parts d’ombre), au fur et à mesure que je passais ce pinceau en conscience (en me concentrant sur cette méditation en mouvement que représentait cette activité plutôt qu’à me répéter que pour le prix de quatre pots de peintures blanches sur cette étagère, j’aurais eu, à l’aise, deux Billy chez Ikéa) en bleu de travail, alors que j’écoutais la radio de la même couleur, Europe 1 bien sûr, et ses excellents programmes du dimanche, je suis tombée sur EcoSystem, entre 17h et 18h. Une émission dans laquelle Emmanuel Duteil, bien inspiré, recevait hier Thibault Duchemin, élu innovateur humanitaire de l'année par la M-I-T Review, pour la création d’une appli mobile baptisée "Ava". Une appli qui aide les sourds et malentendants à suivre une conversation, en la retranscrivant. Et en tant qu’ancienne interprète en langue des signes passée du côté du micro, forcément ce sujet m’a passionné. Surtout quand j’ai appris ce qui avait motivé ce jeune homme à chercher puis à trouver une solution pour les sourds.

Un jour, on lui a demandé : "Qu’est-ce qui vous met en colère ?" Et c’est la meilleure des questions à se poser ça. "Qu’est-ce qui me met en colère ?" Aux lycéens qui ne savent pas trop quoi répondre quand on leur demande ce qu’ils souhaiteraient faire plus tard, à tous ceux qui se sentent de plus en plus décalés dans leur emploi, dans leurs fonctions… "Qu’est-ce qui me met en colère ?" est en effet l’une des plus belles questions à se poser pour savoir vers quoi tend notre essence profonde, pour savoir dans quel métier je vais pouvoir "réparer" ce que l’on m’a fait, ou ce que l’on a fait à mes proches. On en connaît des vocations de médecins née après l’annonce du décès du papi dans l’enfance, ou de la maladie d’un frère. Ce jeune homme Thibault Duchemin, lui, c’est sa sœur qui est sourde, et c’est pour l’aider à passer ses examens et à embrasser la carrière de son choix qu’il a réfléchi à cette appli pour rendre leur autonomie aux sourds.

Tout ceci nous dit que la colère peut être un moteur…

Si, elle est utilisée à bon escient et surtout, si elle est décortiquée, et pas contenue. Parce qu’on ne fait que nous répéter à outrance de "gérer nos émotions", sauf que la seule manière d’en finir avec la colère, c’est de la traverser ! Pas en décalant le problème et en faisant porter le chapeau à sa femme, ses enfants, ses collègues… Ni, en poignardant au hasard les passants un samedi soir dans les rues de Paris. Parce que oui, la colère peut me transformer en leader d’opinion, en chef d’équipe, en acteur de changement mais aussi en monstre si je choisis de l’étouffer cette colère, de la "gérer" comme on me le répète, de la glisser sous le tapis, de taper dans le mur avec les poings…

Sauf que cette colère et cette douleur, elle m’offre, à bien y regarder, une magnifique opportunité de grandir, de creuser profondément en moi, et de comprendre comment je pourrais aller mieux. La colère va me mettre dans une situation tellement inconfortable qu’elle va m’obliger à prendre une décision, à changer de posture et à oser aller la traverser chez un thérapeute, en tapant sur des coussins, en criant, en hurlant et en expérimentant que derrière la colère se loge souvent quelque chose que l’on n’avait souvent pas vu venir. Une immense tristesse !