"Un grand écart entre austérité et relance"

Deux jours après la remise du rapport de la Cour des comptes, le Conseil des ministres doit mettre au point le projet de loi de finances rectificatives pour 2012.
Deux jours après la remise du rapport de la Cour des comptes, le Conseil des ministres doit mettre au point le projet de loi de finances rectificatives pour 2012. © REUTERS
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Propos recueillis par Gaétan Supertino , modifié à
Le Conseil des ministres va fignoler son budget. L'économiste Bruno Jérôme décrypte ce qui attend les Français.

L'heure de trancher entre "Rigueur de gauche" ou réelle austérité est arrivée. Deux jours après la remise du rapport de la Cour des comptes, le Conseil des ministres doit mettre au point le projet de loi de finance rectificative pour 2012, intégrant les défauts dans les finances pointés par le rapport, la baisse des prévisions de croissance et les premières mesures fiscales du quinquennat Hollande. Ce texte sera débattu en séance par les députés à partir du 16 juillet.

L'économiste  et chercheur à l'université Paris-II, Bruno Jérôme, revient pour Europe1.fr sur cette notion d'austérité et sur les orientations économiques prévues par François Hollande.

Quand peut-on parler d'austérité ?

Le gouvernement actuel joue sur les mots, lorsqu'il parle de "rigueur de gauche" plutôt que "d'austérité". En réalité, les deux termes sont presque synonymes. Si l'on fait simplement attention à l'évolution des dépenses publiques, si l'on veut simplement les maîtriser, faire en sorte qu'elles ne s'envolent pas, on peut parler de rigueur.

Il y a par contre austérité lorsque l'on parle de véritables coupes dans le budget, de réduction des dépenses au sens strict. L'austérité est la part sombre de la rigueur. Cela se traduit par des véritables diminutions, et non un simple contrôle ou gel, des budgets des ministères.

L'austérité concerne également le secteur privé. Cela s'applique par exemple lorsqu'il y a blocage des salaires, par des partenariats entre entreprises et gouvernement, ou par une baisse, voire une suppression des subventions publiques. En 1982 par exemple, s'entamait un vrai plan d'austérité, avec blocage des salaires et des prix de change.

Selon vous, le terme "austérité" correspond-il à ce que prépare le gouvernement ?

Le gouvernement prévoit des hausses d'impôts, un coup de rabot sec sur les niches fiscales, des hausses de cotisations, et en même temps des embauches de fonctionnaires et des contrats du type "emplois jeunes". Il fait le grand écart entre relance et austérité, c'est contradictoire.

Et cela risque de ne pas plaire aux marchés et aux investisseurs. Ces derniers font attention aux réalités économiques, et non aux slogans du style "redressement dans la justice".

François Hollande veut relancer la croissance au niveau européen, et espère ainsi tenir ses engagements. S'il y arrive en embauchant des fonctionnaires, tant mieux non ?

Les marchés regardent de près la cohérence des politiques. Ils n'accepteront pas, au niveau européen, que des États fassent des efforts et d'autres moins. Si c'est ça qui se passe, les investisseurs risquent de sanctionner tout le monde.

De plus, les mesures annoncées par François Hollande pour réduire le déficit sont très insuffisantes. Par exemple, il mise beaucoup sur la suppression des niches fiscales, qui coûtent 17 milliards d'euros à la France. Mais une telle mesure ne rapportera jamais autant que prévu. Certaines entreprises bénéficiaires de niches échapperont au coup de rabot. De plus, en supprimant des niches, certaines entreprises auront des pertes. Ce qui va revenir à l'Etat, avec les suppressions de niches, sera quoi qu'il arrive inférieur à ce qu'il débourse actuellement.

Enfin, relancer l'activité par des embauches de fonctionnaires, ou en favorisant l'emploi des jeunes par exemple, est une vue à long terme. Cela peut marcher, mais à partir de quand aurons-nous des retombées? Personne ne sait. Or la situation est urgente, les marchés veulent des réponses tout de suite.

La situation est-elle désespérée ?

La seule solution à engager est une amélioration de la compétitivité de la France. L'Etat doit dépenser mieux, changer de politique structurelle. Il y a des secteurs ou l'argent de l'Etat n'a plus rien à faire là. Je pense par exemple à l'industrie automobile.

À l'inverse, l'Etat s'est désengagé de certains secteurs clés, comme l'énergie ou la santé. Il doit réinvestir dedans, et y relancer l'activité.