Traçabilité : des crevettes en eaux troubles

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DÉCRYPTAGE - Vous refusez de consommer des crustacés issus de pratiques esclavagistes ? Pas sûr que vous y arriviez.

L’info.The Guardian a accusé mardi le Thaïlandais CP Foods, l’un des principaux producteurs mondiaux de crevettes, d’avoir recours à des sous-traitants pratiquant l’esclavage. Le quotidien britannique révèle de nombreuses preuves de pratiques esclavagistes à bord des bateaux chargés de pêcher les poissons qui nourriront les crevettes d’élevage : des immigrés birmans ou cambodgiens y sont vendus, surexploités voire même torturés et assassinés. Or, une partie des crevettes ainsi nourries se retrouvent sur les étals du groupe Carrefour et d'autres distributeurs à l'étranger. Nous avons donc cherché à savoir d’où venaient les crevettes que nous consommons. Et c’est loin d’être clair.

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La France aime les crevettes. Les crevettes représentaient 51% de notre consommation de crustacés en 2012, selon les chiffres de FranceAgriMer. Les Français en ont consommées en moyenne 123.000 tonnes par an depuis 2011. La France aime donc la crevette mais elle en produit peu : 914 tonnes, soit seulement 0,74% de sa consommation annuelle. Elle doit donc se tourner vers l’étranger pour assouvir son appétit.

Et la Thaïlande en produit beaucoup. De son côté, le pays d’Asie du Sud-Est, deuxième producteur au monde, revendique le titre de premier exportateur mondial de crevettes. En 2006, il produisait 25% de l’approvisionnement mondial et ne s'en contentait pas : l’objectif était alors d’augmenter encore sa production de 76%.

Mais, officiellement, nous en importons peu. On pourrait donc penser que de nombreuses crevettes thaïlandaises se retrouvent dans les assiettes françaises mais lorsqu’on se penche sur les chiffres des douanes pour 2012, la Thaïlande est pourtant un poids plume sur le marché hexagonal. Crevette tropicale (4.007 tonnes), crevette en conserve (3.324 tonnes) : seuls 6,7% de nos importations de crevettes provenaient de Thaïlande.

Étrange lorsqu’on sait qu’on sait qu’une crevette vendue à l’international sur quatre en provient. Mais FranceAgriMer prévient : si on a peu de doute sur la provenance des poissons et crustacés frais, il en va autrement dès qu’ils sont surgelés, cuits ou en boites. Ainsi, des crevettes surgelées provenant de Thaïlande peuvent se retrouver avec une étiquette "origine Pays-Bas" ou "origine Danemark" si elles y ont été cuites ou misent en boite.

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Et comme les étiquetages restent obscurs... On peut donc supposer que plus de 6,7% de nos crevettes sont thaïlandaises, surtout lorsqu’elles ont été cuites ou surgelées. Mais il est difficile pour le consommateur de le vérifier. D’abord au restaurant ou à la cantine, puisqu’un restaurateur n’a aucune obligation de préciser l’origine de ses produits : il lui est juste interdit de mentir sur ce sujet.

Quant aux crevettes vendues dans le commerce, la loi impose de préciser sur l’emballage la dénomination commerciale de l’espèce vendue, sa méthode de production (pêche ou élevage) et sa zone de capture. Mais il y a des exceptions : lorsque la crevette a été cuite et décortiquée, ce n’est pas obligatoire, comme c’est le cas avec Carrefour qui vendait des queues de crevette. L’origine du produit n’est également pas obligatoire lorsque la crevette se retrouve dans un plat préparé, mélangée avec d’autres ingrédients. Ni quand elle se retrouve dans une boite de conserve. Bref, les chances de rencontrer une crevette non identifiée sont grandes.

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.... et que les abus portent principalement sur l’étiquetage. Non seulement la loi sur les étiquetages a ses limites et ses exception, mais en plus elle est souvent non respectée. La plupart des infractions constatées par la répression des fraudes chez les professionnels des produits de la mer et d’eau douce portent en effet sur cet aspect.

"Les enquêteurs ont pu aussi constater des infractions liées principalement à la présence de mentions ou d’allégations valorisantes mensongères (sauvage pour élevage, poisson de ligne, label rouge, etc.) ou de dénominations erronées ou incomplètes (merlan au lieu de merlu, thon rouge pour du ‘thon albacore’, etc.)", indique le ministère de l’Economie. Avec un chiffre à l’appui : sur 2.927 contrôles sur l’étiquetage, près de 28% ont conduit à un avertissement.

Le doute est permis... Pour résumer, si on se fie aux déclarations de Carrefour, les queues de crevettes provenant de pratiques esclavagistes se retrouvaient uniquement dans un seul produit commercialisé en France. Sauf que la société incriminée, CP Foods revendique le titre de première entreprise agro-alimentaire de Thaïlande, champion mondial incontesté de l’exportation de crevettes. En jouant avec les règles d’importations et d’étiquetage, bien d’autres "crustacés du sang" peuvent se retrouver en France sans se revendiquer thaïlandais. Les crevettes ont parfois comme un goût de viande de cheval.

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