Temps de travail, licenciements… Et si la loi n'imposait plus rien ?

Code du Travail droit
Le droit du travail va être réformé "en profondeur". © BERTRAND GUAY / AFP
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L'exécutif veut une "réforme en profondeur" du droit du travail. Plusieurs rapports de gauche et de droite lui proposent une révolution.

Peut-on déjà jeter notre code du travail à la poubelle ? Manuel Valls l'a répété dimanche à La Rochelle : il souhaite "revoir en profondeur la manière même de concevoir notre réglementation" en matière de droit du travail. Son objectif : accorder plus de possibilité aux employeurs et aux salariés de "décider eux-mêmes". Ce sera même l'une des principales réformes de cette fin de quinquennat. Et l'un des chantiers les plus importants de la nouvelle ministre du Travail, Myriam El Khomri.

Pour préparer cette "réforme en profondeur", l'exécutif attend d'ici la fin du mois les préconisations de la commission pilotée par l'ancien directeur du Travail, Jean-Denis Combrexelle. Mais avant ça, le gouvernement peut déjà commencer à éplucher plusieurs rapports rédigés sur le sujet ces derniers mois. Tous, de droite comme de gauche, prônent un effacement radical du poids du code du travail. 

Terra Nova prône une "prise en main" des partenaires sociaux. Un rapport commandé par Terra Nova, une think tank proche du PS, propose ainsi que les accords collectifs (d'entreprise ou de branche) puissent déroger "largement" au droit du travail. L'économiste Gilbert Cette et l'avocat Jacques Barthélémy, les auteurs, dressent en effet un bilan sévère du "code" actuel : sa "complexité" et son "abondance" nuisent à l'activité économique et créent un fossé entre les "laissés-pour-compte" et les salariés "surprotégés".

Pour "sortir de l'impasse", Terra Nova, parfois considéré comme un "laboratoire à idée du PS", préconise ainsi une "prise en main" des partenaires sociaux dans l'élaboration des règles en entreprise. Temps de travail, conditions de licenciement (et règles d'indemnisation), seuils sociaux … Ce n'est plus la loi ni les conventions collectives qui fixeraient les règles, mais bien la négociation entre la direction et les représentants de salariés, et ce dans chaque entreprise. Seul le droit européen (durée maximale de travail de 48h hebdo !) et les principes fondamentaux du droit (non-discrimination, règles de sécurité etc.) seraient intouchables.

Les deux auteurs proposent même que le refus d'un salarié de se voir appliquer un accord collectif de la sorte puisse entraîner son licenciement, sans forcément qu'il y ait d'indemnités. Et ce même si ces accords disent l'inverse de ce qu'il y avait marqué dans son contrat. Enfin, le rapport va encore plus loin, en donnant la possibilité à des négociations de "branches" (des secteurs économiques : métallurgie, commerce, ameublement etc)… de pouvoir déroger au Smic ! Seules conditions : ces accords doivent être majoritaires à 50%, les représentants de salariés doivent être élus avec au moins 50% des voix.

L'institut Montaigne, aussi. En juin, un rapport de l'ancien ministre de François Mitterrand, Rober Badinter, et du professeur en droit du travail,  Antoine Lyon-Caen, deux hommes de gauche, dénonçait déjà "la forêt obscure" du code du travail. Et proposait de n'en garder qu'une cinquantaine de principes fondamentaux, à adapter branche par branche et entreprise par entreprise.

De telles charges contre le droit du travail sont peu communes à gauche. Elles rejoignent d'ailleurs le constat dressé mercredi par l'institut Montaigne, think thank libéral et plus habitué à ce type de revendications. Dans un rapport, l'institut propose lui aussi de "revoir profondément la hiérarchie des normes en droit du travail", en faisant carrément de l'accord d'entreprise "la norme de droit commun". La loi n'interviendrait alors que s'il n'y a pas d'accord.

Vers une réforme "équilibrée" ? Mais le gouvernement ira-t-il aussi loin ? Pas sûr. A l'approche de la présidentielle, il se mettrait à dos la CGT, FO, les frondeurs du PS (Martine Aubry comprise) et le Front de gauche. La gauche de la gauche et les syndicats dits "contestataires" restent attachés à une forte présence de la loi dans l'entreprise, jugée plus protectrice pour les salariés. Tout dépendra des conclusions du rapport de Jean-Denis Combrexelle, remis à Manuel Valls d'ici fin septembre.

"On peut attendre de M. Combrexelle, ancien directeur général du travail, qui a veillé pendant des années, avec la confiance des syndicats, à la bonne application de la réglementation du travail, une approche équilibrée. Il ne sera pas le fossoyeur du petit livre rouge et devrait donner de la souplesse à la régulation et accorder plus d’espace à la négociation", prédit pour sa part Le Monde mercredi. Reste à savoir si une "approche équilibrée" collera avec la "réforme en profondeur" que Manuel Valls appelle de ses vœux.