Samsung, Toyota, Ikea : pourquoi tant de produits si mal finis ?

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Samsung espérait beaucoup de son nouveau smartphone mais il est probablement allé un peu trop vite. Et il n'est pas le seul. © DREW ANGERER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA AFP
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DÉCRYPTAGE - Le fiasco de Samsung avec son téléphone Galaxy Note 7 dans la téléphonie est loin d’être un cas isolé.

L’épisode va laisser des traces chez Samsung. Le premier fabricant mondial de smartphones a annoncé jeudi qu’il arrêtait purement et simplement la production de son dernier produit phare, le Galaxy Note 7, après avoir rappelé un mois auparavant près de 2,5 millions d’exemplaires pour des risques d'incendie. Mais dans son malheur, Samsung peut se consoler en se disant qu’il n’est pas seul. De plus en plus d’entreprises sont en effet contraintes de procéder à des rappels massifs de leur produit pour corriger une malfaçon ou changer une pièce. Mais pourquoi ces erreurs de conception et ces rappels sont-ils de plus en plus fréquents ?

  • Ce rappel est loin d’être un cas isolé

Depuis une dizaine d’années, les rappels de produits défectueux se multiplient. Rien qu’au cours des deux dernières semaines, le secteur automobile a été particulièrement touché : Subaru a rappelé 935.000 Legacy, Volvo 127.000 de ses modèles, Toyota 220.000 voitures vendues en Russie et Volkswagen-Audi 334.000 véhicules commercialisés en Amérique du Nord. Et ce n’est rien à côté des 30 millions de véhicules rappelés en 2014 par General Motors ou des 9 millions de Toyota rappelées en 2016.

Si le secteur automobile est particulièrement touché, il n’est pas le seul. En 2006, 7,1 millions d’ordinateurs étaient rappelés à cause d’un défaut des batteries fabriquées par Sony. En 2001 et 2002, Firestone devait échanger presque 20 millions de pneus potentiellement défaillants. Plus récemment, Ikea a rappelé cet été près de 36 millions de commodes.

Cette impression générale est confirmée par les chiffres de la Commission européenne, qui recense le nombre d’alertes concernant des produits non-alimentaires déjà commercialisés et jugés comme dangereux, soit parce qu'ils ont été commercialisés trop tôt, soit parce qu'ils ne respectent pas les normes. Entre 2003 et 2015, le nombre d’alertes a pratiquement été multiplié par 15, comme le montre cette infographie : 

POURQUOI UNE TELLE ÉPIDÉMIE DE RAPPELS ?

  • Une course effrénée à la nouveauté

C’est l’une des principales explications, notamment dans le secteur des nouvelles technologies : en imposant le rythme effréné d’une voire deux nouveautés par an, les fabricants de smartphones espèrent renouveler l’intérêt du consommateur et montrer leur suprématie. Mais un tel rythme est aussi très risqué, comme l'a montré l'épisode du Galaxy Note 7 : "Il y avait trop de pressions pour qu'il domine le marché avant le lancement de l'iPhone 7. (…) Je crois que Samsung s'est précipité pour fournir des nouveaux téléphones alors qu'il aurait mieux fait de prendre le temps de mener une enquête exhaustive", a ainsi expliqué à l’AFP Greg Roh, analyste chez HMC Investment Securities.

  • La sous-traitance et la baisse continue des coûts

Les multinationales font tout pour réduire au maximum leurs prix, avec un effet ambivalent : si cela permet de rendre leurs produits accessibles au plus grand nombre, il arrive que ce soit au détriment de la qualité.

C’est également pour des questions de coût et de flexibilité que les entreprises font de plus en plus appels à la sous-traitance, ce qui est particulièrement le cas dans les nouvelles technologies et l’automobile. Mais le risque est grand de perdre la main sur le contrôle des composants ainsi fabriqués. Et, surtout, le moindre souci d’un sous-traitant peut avoir des conséquences sur toutes une filière si cette dernière s’est approvisionnée au même endroit. Ainsi, le défaut des batteries Sony en 2006 a conduit au rappel d’ordinateurs d’une dizaine de marques : Apple, Fujitsu, Sharp, Lenovo, IBM, Toshiba, Hitachi, etc. De même, une erreur de conception des airbags conçus par Takata a conduit aux Etats-Unis au rappel de véhicules de plusieurs marques différentes : Honda, Toyota, BMW, Ford, etc.

  • L’informatisation et la culture start-up

Dans le secteur automobile, la multiplication des rappels est également liée à la part de plus en plus grande qu’occupe l’informatique dans les véhicules modernes. Avec, à la clef, la multiplication des risques de bug qui sont d’autant plus fréquents que les véhicules sont toujours plus perfectionnés. "L’intensification de la concurrence dans le secteur automobile conduit les constructeurs à accroître et complexifier sans cesse le contenu technologique de leurs véhicules et donc à accepter une prise de risque croissante en termes de fiabilité. De nombreux lancements de véhicules ont été compromis par de tels problèmes", soulignaient ainsi trois chercheurs du CNRS dès 2005 dans la Revue économique et sociale.

La généralisation de l’informatique a également une autre conséquence : la généralisation d’un état d’esprit start-up, qui consiste à commercialiser un produit le plus vite possible, quitte à proposer une mise à jour plus tard pour régler les bugs qu’on n’a pas pris le temps de repérer. Si l’opération est aisée pour les produits informatiques connectés, elle est bien plus lourde lorsqu’il s’agit du secteur automobile.

  • Des clients plus exigeants et prêts à aller en justice

Si les entreprises procèdent de plus en plus souvent à des rappels, c’est aussi parce que leurs clients ont sensiblement évolué. Désormais, ces derniers s’informent, s’appuient sur des associations de consommateurs et demandent des comptes aux autorités. Et, surtout, ils n’hésitent plus à poursuivre les entreprises en justice. Elles savent donc qu’elles risquent bien plus qu’auparavant, si bien qu’elles estiment désormais qu’il est moins coûteux de rappeler des produits que d’être condamnées. Le cas General Motors fait figure de contre-exemple : pendant une vingtaine d’années, le constructeur automobile a préféré ne pas rappeler des millions de voitures dont le réservoir était dangereux pour des questions de coûts. Jusqu’au jour où il a été condamné à 4,9 milliards de dollars par la justice (4,4 milliards d'euros).

  • Une question d’image pour les marques

Les entreprises hésitent d’autant moins à rappeler leurs produits défectueux qu’elles savent que de telles bévues nuisent à leur image de marque. Or, une opération de rappel coûte souvent bien moins cher que le budget communication et publicité. Rattrapé par sa fraude aux émissions polluantes, Volkswagen peut en témoigner. Les entreprises préfèrent donc prendre les devants, comme l’avait annoncé le PDG de l’alliance Renault-Nissan en 2014 : "ce que l’on voit aujourd’hui, c’est une tendance de tous les constructeurs à rappeler les voitures à chaque fois qu’ils ont le moindre doute, parce que la dernière chose qu’ils veulent, c’est que le consommateur ait à gérer des problèmes de qualité". C'est exactement le genre de défi auquel est actuellement confronté Samsung.