Surendettement : le "fichier positif" enterré ?

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Sophie Amsili , modifié à
ZOOM - Ce dispositif, qui a été retiré du projet de loi sur la consommation, fait débat.

"Des réserves". Le fichier du surendettement, ou fichier positif, verra-t-il vraiment le jour ? Ce serpent de mer, qui divise depuis des années la classe politique et les associations, vient de subir un nouveau coup d'arrêt.  A l'origine intégré dans le projet de loi sur la consommation, qui est présenté jeudi prochain en Conseil des ministres par le ministre délégué à la Consommation Benoît Hamon, le "fichier positif" a été retiré du texte. Il serait finalement proposé sous la forme d'un amendement lors de l'arrivée du projet de loi à l'Assemblée en juin.

A l'origine de ce report, le Conseil d'Etat s'est montré "sceptique" sur la création d'un tel fichier, révélait le Journal du Dimanche jeudi. L'institution a fait apparaître "des questions juridiques qui ne pouvaient pas être réglées en quelques jours", indique-t-on à Bercy. "Le Premier ministre a décidé de prendre ces quelques semaines d'étude juridique complémentaires mais reste déterminé à introduire en France un registre national des crédits".

Le-surendettement-en-hausse

Qu'est-ce que le "fichier positif" ? C'est un répertoire qui doit recenser tous les emprunts contractés par les particuliers. L'objectif est d'éviter le "crédit de trop" qui peut faire basculer dans le surendettement. Aujourd'hui, il n'existe qu'un "fichier négatif". Géré par la Banque de France, il recense les incidents de paiement ou les défauts de crédits.

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"Responsabiliser" les banques... Le fichier positif a été présenté par le gouvernement comme un outil permettant de "responsabiliser" davantage les banques qui devront tenir compte des crédits en cours de leurs clients. Mais le dispositif divise à la fois le secteur bancaire et les associations de consommateurs. La Confédération des associations familiales catholiques (AFC) s'y dit ainsi favorable : elle y voit "une façon simple de connaître à un instant donné les engagements antérieurs des demandeurs, le montant de leur en-cours et la durée de leurs engagements", qui permettra aux demandeurs de prêts d'" éviter d'être engagés dans une spirale dangereuse".

…ou "un faux remède" ? Mais les détracteurs du projet mettent en avant trois arguments : la mise en place d'un tel fichier est coûteuse, son efficacité n'a jamais été démontrée et les données pourraient être utilisées à d'autres fins. La Fédération bancaire française souligne ainsi que d'après la Banque de France, "la part des banques" dans la mise en place d'un tel fichier "est chiffrée de 195 à 430 millions d'euros". L'association de défenseurs des consommateurs CLCV parle de son côté d'un "faux remède", "le surendettement n’étant majoritairement pas dû au recours excessif au crédit (…) mais aux charges de la vie courante, aux  accidents de la vie et à la précarité de la situation professionnelle ou à la situation familiale".

Le surendettement dans le collimateur de Bercy

La CLCV met, de plus, en garde contre un fichage qui pourrait être utilisé à des fins commerciales pour identifier des "clients potentiels" à des crédits. Le président de l'UFC-Que Choisir ajoute à ces critiques sur son blog que le dispositif "détourn[e] le débat des vraies solutions : renforcer la vérification de la solvabilité, mettre fin aux cartes confuses (fidélité+crédit) et interdire le crédit renouvelable en magasin". Et d'avancer des chiffres sur la Belgique qui a mis en place un fichier similaire en 2003 : les dossiers de surendettement ont grimpé dans le pays de 48% de 2006 à 2011, selon Alain Bazot, contre une hausse de 28,5% sur la même période.

Quant à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), elle s'est toujours dite "réservée" sur la création d'un tel dispositif. "La diffusion d'informations sur des personnes n'ayant jamais manqué à leurs obligations contractuelles ne parai[t] pas légitime", écrivait dès 2004 l'institution chargée de la protection des données personnelles. Evoquant également l'utilisation des données à d'autres fins, la CNIL a rappelé en 2010 qu'elle recommandait que la création d'un fichier positif soit accompagnée "de garanties fortes".