Qu'est-ce que le "verrou de Bercy", ce dispositif qui divise la majorité ?

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Nicole Belloubet a eu bien du mal à convaincre les députés de la majorité. © FRANCOIS GUILLOT / AFP
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Le MoDem n'a pas suivi La République en marche! à propos du maintien du "verrou de Bercy", un dispositif de lutte contre la fraude fiscale, utilisé à discrétion par Bercy.

Pour la première fois depuis le début de la nouvelle législature, le groupe La République en marche! a fait usage de sa majorité absolue à l'Assemble nationale. Face à une opposition unie de manière inédite depuis l'ouverture des débats sur le projet de loi pour la confiance dans la vie publique, les députés LREM ont en effet obtenu, à 153 voix contre 133, le maintien du "verrou de Bercy".

Monopole de Bercy sur la fraude fiscale. Peu connu du grand public, le "verrou de Bercy" est une expression utilisée pour désigner le monopole qu'exerce le Ministère du Budget sur les poursuites judiciaires en matière de fraude fiscale. Contrairement à d'autres infractions, en France, ni un procureur ni une partie civile ne peut engager de poursuites à l'encontre d'un citoyen ou d'une entité qui chercherait à se soustraire à l'impôt, seul Bercy en a le pouvoir. Plus précisément, l'administration fiscale, qui dépend du Budget, est la seule à pouvoir engager des poursuites pénales, sur avis favorable de la Commission des infractions fiscales.

La Commission analyse les plaintes pour fraude fiscale qu'elle reçoit mais n'est pas soumise au principe contradictoire qui veut que chaque partie puisse donner sa version des faits. De plus, ni elle ni Bercy ne sont tenus de justifier leur décision de poursuivre ou non un contribuable. La justice est obligée d'attendre son feu vert pour lancer la procédure judiciaire traditionnelle.

Contesté depuis l'affaire Cahuzac. Le "verrou de Bercy" n'est pas un dispositif récent. Cette dérogation au droit commun a été inscrite dans la loi en 1920. La première remise en cause sérieuse est survenue en 2012, conséquence de l'affaire Cahuzac. Dans ce cas, le ministre du Budget de François Hollande était le seul à pouvoir décider d'engager des poursuites contre lui-même. Il a fallu qu'il démissionne pour la justice mette en évidence l'existence d'un compte en Suisse à nom. Plus récemment, lors de la publication des Panama Papers en 2016, le "verrou de Bercy" a également été visé, accusé de maintenir un voile sur les pratiques d'évasion fiscale.

C'est justement ce secret autour de la fraude fiscale qui a motivé les contestations lors du débat sur le projet de loi de confiance dans la vie publique. Dans un premier temps, le Sénat à majorité de droite avait adopté, contre l'avis du gouvernement, un amendement du communiste Éric Bocquet demandant un déverrouillage partiel du "verrou de Bercy", dans le cas de poursuites pénales incidentes déjà engagées. Ce qui n'était pas du goût des députés LREM qui ont obtenu, après un vote "assis-debout" exceptionnel en commission de Lois (25 voix pour, 24 contre), de revenir sur cet amendement.

"Vous êtes proche du pouvoir, on ne poursuit pas". Il a donc fallu débattre du sujet dans l'hémicycle, où une alliance improbable a vu le jour entre le MoDem, pourtant dans la majorité (ainsi que 12 députés LREM), et une opposition unie : les Constructifs et une partie des Républicains se sont exprimés pour un "déverrouillage" avec la Nouvelle gauche, la France insoumise, les communistes et les députés FN. Ensemble, ils ont dénoncé une "anomalie française", "injuste et inefficace". "Nous sommes le seul pays au monde où l'on ne poursuit les délits fiscaux que si on a l'autorisation du ministre des Finances", s'est insurgé sur RTL le député de l'Essonne Nicolas Dupont-Aignan."Vous êtes proche du pouvoir, on ne poursuit pas (...) C'est le conflit permanent au sommet de l'État", regrette-t-il.

La ministre défend le "verrou". Pour le gouvernement, ce "verrou" permet de lutter efficacement contre la fraude fiscale, notamment car, selon lui, il est parfois préférable de négocier avec les fraudeurs que les poursuivre. La garde des Sceaux Nicole Belloubet a également évoqué "la technicité de la matière fiscale et des garanties apportées au contribuable" par la saisine de la commission des infractions fiscales, le fait qu'en cas de "fraude grave" l'administration "ne transige pas" et qu'une plainte peut être déposée par le ministre. La ministre a enfin défendu "une vision nationale et homogène des dossiers" ou des "rentrées fiscales pas négligeables" avec ce dispositif.