Pourquoi la filière auto patine

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Ventes en baisse, concurrence accrue, fin des dispositifs d’aide, etc. : les raisons sont multiples.

Des intérimaires remerciés, 300 emplois supprimés à Flins, entre 8.000 et 10.000 emplois menacés chez PSA, l’usine Iveco de Chambéry promise à la fermeture, sans compter les sous-traitants : les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le front de l’emploi, confirmant le malaise du secteur automobile. Le PDG de Renault, Carlos Ghosn, a d’ailleurs annoncé le 12 juin "des années difficiles à venir" en Europe.

Le même jour, son numéro deux, Carlos Tavares, a appelé le gouvernement à l’aide, une demande entendue par le ministre du Redressement productif. Arnaud Montebourg, doit présenter sa feuille de route mercredi avec des marges de manœuvres réduites pour redresser la barre. Mais comment en est-on arrivé là ?

L’EUROPE N’EST PLUS UN MARCHÉ EN CROISSANCE

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Des ventes en baisse. Si le secteur automobile, qui revendique employer indirectement une personne sur dix en France, est en crise, c’est avant tout parce qu’il vend moins de voitures. Au cours des six premiers mois de l’année, les immatriculations en France ont chuté de 14,4%, selon les chiffres du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA). Il s’agit d’une tendance lourde, les ventes ayant également reculé de 2,1% en 2011 et de 2,2% en 2010.

La part des Français recule. Pire, la part de marché des marques françaises recule : Renault et PSA représentent 53,4% des ventes sur les six premiers mois de l’année 2012, contre 57,4% un an plus tôt. A l’inverse, les constructeurs allemands se maintiennent et les acteurs low cost asiatiques progressent. Le constat n’est guère plus rassurant à l’étranger : traditionnellement très présents dans le secteurs des petites voitures, PSA et Renault souffrent d’une demande en forte baisse dans les pays de l’Europe du Sud.

Une demande asséchée. Il est toujours difficile de vendre des voitures à des consommateurs déjà équipés. Or la France, comme le reste de l’Europe, est déjà largement dotée de voitures. "Nous sommes sur des marchés matures : le taux d’équipement est tel qu’on n’achète plus que pour renouveler son véhicule. Nous disposons de 600 voitures pour 1.000 habitants en Europe de l’Ouest, contre 40 pour 1.000 en Chine ou en Inde", confirme à Europe1.fr Gérard Morin, responsable du secteur automobile au sein du cabinet d’étude PricewaterhouseCoopers (PwC).

UNE OFFRE MEDIUM POUR DES REVENUS MEDIUM

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Où se situe l’automobile française ? Si l’Allemagne est réputée pour ses berlines, la France n’a plus de symboles aussi forts. Fini l’époque des Citroën DS impressionnant le reste du monde : depuis l’invention du monospace par Renault, les innovations ont été rares. Résultat, l’image de l’automobile française est désormais associée au milieu de gamme avec les Megane, Clio, 308, 208 et autres C3. Citroën tente néanmoins de corriger le tir avec les DS3 et DS4 tout comme Renault, qui souhaite lancer deux nouvelles marques malgré les récents échecs de la VelSatis et l'Avantime.

Dépassée dans un haut de gamme si stratégique. "Notre pays s'est spécialisé progressivement dans le milieu et l'entrée de gamme et nous avons laissé du terrain aux Allemands sur les voitures premium. Je pense que c'est un handicap que nous nous sommes créés, car il est plus difficile de développer une image de marque avec des modèles d'entrée de gamme. C'est l'offre premium qui participe à façonner durablement l'image de marque, même si cela ne représente pas de gros volumes ou des marges importantes", décrypte Claude Cham, président de la Fédération des Industries des Equipements pour Véhicules (FIEV).

Des profits à la hauteur de ce positionnement. Outre l’image de marque véhiculée par le haut de gamme, ce positionnement est aussi stratégique en termes de marge. "Le cœur du marché français, c’est le moyen de gamme et les constructeurs ont collé à ce marché. Mais les marges sont plus importantes dans le haut de gamme", rappelle Philippe Bonnin, maire de Chartres de Bretagne, où est installé PSA, et auteur d’un Livre Blanc sur l'automobile remis au gouvernement en juin. Un constat que confirme Sylvie Rucar, conseillère chez AlixPartners : lancé dans une guerre des prix pour soutenir leurs ventes, "la rentabilité des constructeurs est sur le fil du rasoir".

UN OUTIL INDUSTRIEL EN MUTATION

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Surcapacité. Longtemps au cœur de la stratégie de Renault et de PSA, l’Europe abrite de nombreuses usines. Mais avec le recul des ventes, ces sites sont loin de tourner à plein régime : selon le cabinet d'études Alix Partners, les sites automobiles français tournent actuellement à 60% seulement de leurs capacités, un rythme intenable à terme d'un point de vue financier. Des fermetures ou des re-dimensionnements sont donc à prévoir, principalement en France, en Italie, en Turquie et en Russie.

Un outil industriel âgé. Outre cette surcapacité, les usines françaises ont d’autant plus de mal à s’adapter qu’elles sont anciennes. "Une usine automobile est conçue pour une durée de vie de trente ans. Les plus récentes permettent d’avoir des machines plus performantes, d’être plus flexibles, de construire plusieurs modèles sur une même ligne", a ainsi rappelé Sébastien Amichi, du cabinet de conseil Roland Berger, dans les colonnes du Monde daté du 3 juillet. Conscients du problème, PSA et Renault investissent des milliards dans la modernisation de leurs installations.

LE COÛT DE LA MAIN D’ŒUVRE

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Un faux débat ? Lorsqu’il est question de compétitivité, le sujet revient incessamment sur la table : si l’industrie française délocalise, c’est parce que l’employé français coûterait (trop) cher. "Le différentiel du coût du travail, on peut en parler : c’est moins de 10% du prix final", balaye Philippe Bonnin, interrogé par Europe1.fr. A ses yeux, il s’agit d’un faux débat, d’autant qu’on assiste "à des effets de rattrapage très important dans les pays d’Europe centrale et orientale", où les salaires ne cessent d’augmenter.

La flexibilité plutôt que les coûts. "Le coût de la main d’œuvre n’est pas le principal obstacle, c’est plutôt la rigidité", renchérit Gérard Morin, du cabinet PwC. "Le coût du travail n’est pas très différent aux Etats-Unis mais eux ont fermé des usines. Ce schéma ‘on vous licencie mais on pourrait vous réembaucher demain’ ne marche pas en France, on a peur de l’avenir : il y a une rigidité réglementaire mais aussi culturelle", constate-t-il.

QUID DE L’AIDE ETATIQUE ?

L’effet pervers de la prime à la casse. L’Etat est loin d’être responsable de la crise actuelle du secteur, mais son action peut être discutée. Bouée de sauvetage pour tout le secteur en 2009, la prime à la casse eu un effet pervers en concentrant le renouvellement du parc immobilier sur une très courte période. Résultat, les acheteurs sont bien moins nombreux aujourd’hui. Pire, "les consommateurs se sont habitués à des prix très bas, ce qui pousse les constructeurs à faire des efforts et donc à rogner encore leurs marges", ajoute Gérard Morin.

Quel accompagnement ? De manière plus générale, Claude Cham, président de la FIEV, s’interroge sur le rôle de l’Etat vis-à-vis sa filière automobile. "Nous n'avons pas su créer les conditions favorables à la voiture comme en Allemagne par exemple, où la fiscalité est par ailleurs plus douce. Le gouvernement japonais a aussi fortement aidé son industrie automobile lorsqu'elle s'est internationalisée. Notre industrie n'a pas su fédérer les mêmes soutiens", regrette-t-il, avant de conclure :"il nous appartient à nous, industriels, de travailler avec ceux qui sont en charge de la cité pour améliorer la situation".