Peut-on vraiment mesurer la consommation d’énergie de l’électroménager ?

© RONALDO SCHEMIDT / AFP
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Une enquête du Bureau européen de l’environnement relance la controverse sur l’homologation énergétique des produits. 

A+++, A++, A+, A, B, C et D… Les "étiquettes énergies", et leurs dégradés de couleur, du vert au rouge en passant par le jaune, croisent le regard de tous les acheteurs d’électroménager. Leur objectif ? Indiquer le degré de consommation d’énergie du réfrigérateur, de la machine à laver ou du lave-vaisselle que vous envisagez d’installer dans votre demeure. Mais peut-on vraiment s’y fier ? Pas vraiment, à en croire une étude réalisée par le Bureau européen de l’environnement (BEE), une ONG qui rassemble 140 associations dans 28 Etats, dont la France. En cause : un système d’homologation réalisé par les fabricants eux-mêmes, hors du contrôle des autorités.

Peut-on se fier aux étiquettes ?

D’après cette enquête révélée mercredi par Le Parisien (qui ne cite pas les marques) et qui s’appuie notamment sur des vérifications de la Commission européenne, 18% des produits vendus sur le marché européen ont une consommation supérieure à celle affichée sur les étiquettes. Six réfrigérateurs sur dix testés exploseraient ainsi les compteurs. "Pour certains réfrigérateurs, la consommation peut être 32% plus élevés", ajoute le BEE. En clair, un réfrigérateur A+++ restera toujours moins énergivore qu'un réfrigérateur de la gamme inférieure, mais il n'est pas forcément aussi économie que ne le laisse entendre l'étiquette.  

Concernant les sept télés passées au banc d'essai, l'ONG a constaté que la simple modification d'un réglage sur l'écran suffisait à déconnecter le mode éco et à faire déraper la consommation jusqu'à +130%. Trois lave-vaisselle ont également été étudiés. Dans le cas où la fonction éco n'est pas activée, la consommation bondit de 70% par rapport à ce qui est annoncé par le fabricant.

Comment sont réalisés les tests ?

Pour comprendre comment de tels écarts sont possibles, il faut comprendre comment sont réalisées les fameuses étiquettes. Pour calculer la consommation d’un produit, l’industriel prend en compte la capacité de charge des produits, leur taille, leur mécanisme, le tout suivant des normes fixées par l’Union européenne. Ensuite, des tests sont réalisés pour voir l’effet de l’utilisation du produit sur les compteurs électriques.

" Les fabricants optimisent leurs appareils avant de les passer au ban d’essai "

"Pour mesurer l'efficacité énergétique d'un lave-linge, par exemple, l'industriel prend en compte la capacité de charge de l'appareil puis y introduit des pièces de textiles ‘artificiellement tachées’ pour simuler une tache de vin, de chocolat ou de graisse", explique Le Parisien. "Pour les lave-vaisselle, on introduit de la vaisselle couverte de salissures que l'on a auparavant passée au micro-ondes", poursuit le directeur technique du Gifam, le syndicat des fabricants d’électroménager, Patrick Le Dévéhat. Quant au réfrigérateur : "On le remplit de pains de matières synthétiques (NDLR : équipés de capteurs et censés représenter des produits alimentaires) puis on le referme. Nous calculons ensuite la consommation d'énergie nécessaire pour garder la bonne température au cœur des aliments".

Peut-on leur faire confiance ?

Mais selon les associations, ces tests sont largement biaisés. Pour les réfrigérateurs, par exemple, les laboratoires n'utilisent pas de vrais aliments, mais de la matière synthétique. Or, selon les aliments, la consommation de votre réfrigérateur peut varier. Les tests ne prennent pas non plus en compte les nombreuses ouvertures et fermetures pendant la journée. "Les fabricants optimisent leurs appareils avant de les passer au ban d’essai. Les frigos devraient être testés avec des aliments dedans et des ouvertures de portes plus systématiques", estime ainsi Benoît Hartmann, directeur général Cler, une ONG membre du BEE. Pour les autres produits, l’ONG demande à les tester autrement que par le mode "ECO", seul pris en compte pour l’homologation.

Existe-t-il des contrôles ?

Aussi, et surtout, les associations dénoncent l’absence de contrôle des autorités européennes pendant ces tests. Les directions des fraudes des différents pays vérifient en magasin que l’étiquette est bien apposée au produit. Mais elles ne contrôlent pas les tests en laboratoire. Elles peuvent effectuer des vérifications dans un second temps, si elles ont des doutes sur un produit. Mais "faute de moyens, il n’y a pas de vérification du niveau de performance énergétique" en temps réel, regrette aujourd’hui l’association Que-Choisir.

" L’étiquetage énergétique est un outil marketing essentiel "

Les entreprises du secteur, pour leur part, se disent prêtes à faire évoluer leurs pratiques… à condition que l’Union européenne revoie elle-même ses normes. En 2012, déjà, un consortium européen des entreprises du secteur avait écrit à la Commission européenne pour l’inciter à assurer la fiabilité des données et mettre en place des nouvelles normes. Pour elles, en effet, l’étiquetage énergétique "est un outil marketing essentiel" permettant "de se différencier de la concurrence", indique au Parisien le Gifam, le syndicat français du secteur. Entre 2011 et aujourd’hui, les ventes de lave-linge et de réfrigérateurs classés A+++ sont passés de 0% du marché à plus de 10%. Les fabricants n’ont donc pas intérêt à ce qu’éclate un "dieselgate" de l’électroménager.

Pour sa part, la Commission européenne s’est engagée à réviser le système d’étiquettes (il n’y aura bientôt plus de A+++ ou de A++ mais un classement de A à G, plus lisible) et à édicter de nouvelles normes de fabrication. Selon ses calculs, cela permettra d’alléger de 490 euros les factures énergétiques des ménages (en moyenne, chaque année) et permettra une hausse de 55 milliards d’euros des revenus des entreprises européennes. Mais cette réforme n’est pas attendue avant 2020. Et aucune garantie n’a été apportée sur les contrôles pour s’assurer de la fiabilité des homologations.