Nobel d'économie : coupables ou visionnaires ?

Le "Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel", "Prix Nobel d'économie" de son petit nom, est décerné lundi
Le "Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel", "Prix Nobel d'économie" de son petit nom, est décerné lundi © Maurizio Gambarini/DPA/MAXPPP
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Ils sont 71 économistes à avoir été récompensés depuis plus de 40 ans. Les a-t-on trop ou pas assez écoutés?

Il a vocation à récompenser les travaux d'économistes illustres. Le "Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel 2012", "Prix Nobel d'économie" de son petit nom, a été décerné lundi. Il revient aux Américains Alvin Roth et Lloyd Shapley, pour leurs travaux sur la "théorie des jeux." Si ces derniers ont fait coulé peu d'encres dans les médias traditionnels et semblent se placer en dehors des polémiques, ce n'est pas le cas de tous les lauréats.

En cette année 2012, où le monde peine à se réveiller du choc financier de 2008, où la zone euro s'englue dans la crise de la dette, et où le chômage explose dans les pays industrialisés, on peut se poser la question de l'influence des précédents Nobel. Les 71 lauréats désignés depuis la naissance du prix ont-ils vu venir la situation? Les a-t-on trop, ou pas assez écoutés? Éléments de réponse.

>> SUR LE JDD : 2012, les "théoriciens des jeux encore primés"

DES PRIX CONTROVERSÉS

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• Des "libéraux extrémistes".  Plusieurs Nobel ont essuyé le feu des critiques, et ont même été jugés par certains responsables de la crise. En 2009 par exemple, le fondateur d'Alternatives économiques, Denis Clerc, signait un éditorial au vitriol dans lequel il pointait du doigt une "large majorité" de Nobel qualifiés de "libéraux les plus extrémistes" qui nous ont "conduit dans le mur". Et de dresser une liste de seulement une vingtaine de noms échappant à la critique.

Parmi les plus controversés, les Américains Robert Merton et Myron Scholes, récompensés en 1997. Considérés comme les fondateurs des "mathématiques financières modernes", ils sont accusés par leurs détracteurs d'avoir crée les bases des algorithmes utilisés sur les marchés pour spéculer à outrance et jugés responsables de bulles comme celle des subprimes.

• Le coup de gueule de Peter Nobel. "Les deux tiers des prix Nobel ont été attribués" à de tels économistes dénonçait, dès février 2005, le descendant d'Alfred Nobel, Peter Nobel, dans une interview au Monde Diplomatique. Ce dernier réclamait même, suite à ces prix controversés, la fin d'un amalgame : le "Prix Nobel d'économie" n'est pas vraiment un "Prix Nobel". Créée par la Banque de Suède et non par Alfred Nobel, contrairement à tous les autres prix, il n'a en effet pas le même statut que les autres. Or, selon le descendant d'Alfred Nobel, ce prix officieux a tendance à "décrédibiliser" les autres prix.

• Une controverse à relativiser. "Il est à mon avis ridicule de pointer du doigts les travaux de certains prix Nobel dans la crise", avance quant à lui, l'économiste de la BCE et co-auteur du livre "Les prix Nobel d'économie" (Ed. La Découverte, mars 2009), Jean-Edouard Colliard, contacté par Europe1. fr. "Il est vrai que certains acteurs des marchés financiers se sont reposés trop naïvement sur des modèles issus des travaux des prix Nobel de finance, poursuit-il. Mais je ne vois pas en quoi cela rend les prix Nobel en question responsables de la situation. C'est à peu près aussi pertinent que d'accuser Newton quand un avion s'écrase."

DES PRIX MOINS REPRIS

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• Des pensées qui dénotent. D'autres Nobel ou leurs défenseurs regrettent au contraire qu'on ne les ait pas écoutés davantage. Joseph Stiglitz, lauréat de 2001, Paul Krugman (2008) ou encore Christopher Sims et Thomas Sargent (2011) proposent tous des solutions qui tranchent avec les politiques actuelles.

Le premier, admiré des altermondialistes, écume les plateaux pour marteler que "l'austérité est une erreur", qu'il faut repenser la mondialisation et tout miser sur l'éducation ou "l'innovation environnementales". Le second prône à tout va que la BCE doit racheter massivement la dette des États européens et laisser l'inflation augmenter d'au moins 4%, sans faire suivre les salaires, afin de "rééquilibrer" le coût du travail. Et la cuvée 2011 de défendre depuis des décennies une mutualisation des budgets en Europe, ce "processus miracle" qui a fait ses preuves aux États-Unis, assurent-ils.

>> Pour revoir le plaidoyer anti-austérité de Joseph Stiglitz sur Europe1, c'est ici :

 

• Des voix au milieu de milliers d'autres. Autant de systèmes reconnus par les économistes, mais peu visibles dans la réalité politique. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'elles sont inexistantes. "Tout ce qui est fait aujourd'hui s'appuie, ou au moins prend largement en compte, l'état actuel de la science économique, qui a énormément progressé grâce aux lauréats primés", assure l'économiste et écrivain spécialiste de l'histoire des lauréats, Jean-Edouard Colliard, contacté par Europe1. fr.

"Mais cette même science représente un corpus de résultats, auquel ont pris part des milliers de chercheurs, si bien qu'on ne peut pas dire qu'on adopte les recettes d'un économiste en particulier", poursuit l'auteur de "Les prix Nobel d'économie."