Marisol Touraine se réjouit-elle trop vite des chiffres de la Sécu ?

© AFP/Jacques Demarthon
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La ministre s'est félicitée vendredi d'avoir "sauvé la Sécurité sociale", anticipant un retour à l'équilibre l'année prochaine. Mais le "trou de la Sécu" n'est pas encore bouché.

Depuis des années, il est tenu pour responsable de la mauvaise situation budgétaire de la France, pointé du doigt car il ne cesse de se creuser. Le "trou" de la Sécurité sociale ne sera-t-il bientôt plus qu'un mauvais souvenir ? C'est ce qu'affirme, vendredi, Marisol Touraine. Dans une interview aux Échos, la ministre de la Santé assure qu'"en 2017, [il] aura disparu".

Déficit au plus bas depuis 2002. De fait, cette année, le déficit de la Sécurité sociale atteindra 3,4 milliards d'euros, au plus bas depuis 2002. Dans le détail, "trois branches sur quatre seront à l'équilibre", selon Marisol Touraine : les branches vieillesse et accidents du travail afficheront un excédent, tandis que la branche famille limitera son déficit à 1 petit milliard d'euros. Des résultats imputables, notamment, à la réforme des retraites sous Nicolas Sarkozy (pour la banche vieillesse), la modulation des allocations familiales (branche famille) et diverses mesures pour maîtriser les dépenses comme la promotion des médicaments génériques.

En revanche, en dépit d'une "nette amélioration", puisqu'elle passera de 4,1 milliards d'euros de déficit à 2,6 milliards, la branche maladie plombe les comptes.

À l'équilibre en 2017 ? Fort de ces bons résultats cette année, Marisol Touraine anticipe que "le régime général, qui affichait 17,4 milliards de déficit en 2011, sera à 400 millions de l'équilibre" en 2017. Autant dire rien du tout, selon la ministre, par rapport au budget total de la Sécurité sociale, de 500 milliards d'euros. "La droite avait multiplié les franchises et creusé le déficit. Nous aurons sauvé la Sécu", résume la patronne de l'avenue de Ségur. La formulation ne laisse que peu de place au doute : le gouvernement compte bien faire de cette réussite un argument de la campagne présidentielle qui s'annonce.

" La droite avait multiplié les franchises et creusé le déficit. Nous aurons sauvé la Sécu. "

Le FSV passé sous silence. Mais Marisol Touraine a-t-elle raison de se réjouir si vite ? La ministre omet d'abord de comptabiliser le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), dissocié de la branche retraite, qui prend en charge le minimum vieillesse et cotise pour la retraite des demandeurs d'emploi. Or, le déficit du FSV restera de 3,8 milliards d'euros en 2016 et en 2017. Le secrétaire d'État au Budget, Christian Eckert, ne table sur un retour à l'équilibre qu'à l'horizon 2020. En ajoutant les 400 millions du régime général, on arrive donc à un déficit total de 4,2 milliards. L'équilibre des comptes n'a certes jamais été aussi proche depuis 2001, mais il n'est pas complètement atteint.

En outre, selon un rapport de la Cour des Comptes publié mardi, le gouvernement a intégré "de manière très discutable" un "produit exceptionnel" de contribution sociale généralisée (CSG) dans les recettes de la branche maladie. Autrement dit, les magistrats de la rue Cambon estiment qu'une petite manipulation comptable a permis de limiter le déficit sur le papier. "Toutes choses égales par ailleurs, le déficit prévisionnel du régional général et du FSV devrait être réévalué à 9,8 milliards d'euros pour 2016", écrivent-ils dans leur note.

Nouvelles dépenses. Mais la plus grosse menace qui pèse sur l'équilibre de la Sécurité sociale reste la hausse des dépenses prévues l'an prochain, du fait de diverses mesures décidées par le gouvernement. Parmi elles, le dégel du point d'indice et la revalorisation des carrières des fonctionnaires du secteur hospitalier. Coût estimé par le ministère de la Fonction publique : 552 millions d'euros. Il faut y ajouter la revalorisation de la consultation chez le médecin généraliste. La faire passer de 23 à 25 euros à partir du 1er mai 2017 coûtera 400 millions d'euros en 2017.

Des économies et de nouvelles recettes… Pour compenser, le gouvernement a prévu, dans le plan de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS) 2016, de nouvelles économies. Quatre milliards au total, obtenus, entre autres, grâce au "virage ambulatoire", qui favorise les hospitalisations sur une journée, à la promotion des médicaments génériques ou à l'amélioration de "l'efficience de la dépense hospitalière" (ce qui peut se traduire, par exemple, par la mutualisation des achats des hôpitaux).

L'exécutif anticipe aussi de nouvelles recettes. L'augmentation du prix du tabac à rouler permettra par exemple de renflouer les caisses à hauteur de quelque 130 millions d'euros. Une hausse de la masse salariale sera enfin synonyme de cotisations supplémentaires.

…qui peuvent tomber à l'eau. Mais encore faut-il que les objectifs d'économies et les prédictions de recette se réalisent. Dans son rapport, la Cour des comptes a estimé que l'augmentation de la masse salariale par exemple, n'avait rien de certain. Si elle était moins importante que prévue, elle pourrait remettre en cause le sauvetage de la "Sécu".

Sans compter que le retour à l'équilibre repose aussi sur des prédictions de croissance optimistes : 1,5% en 2017. Alors que l'Insee vient d'annoncer un repli du PIB au deuxième trimestre de cette année, l'exécutif est bien placé pour savoir qu'il n'est pas à l'abri d'une mauvaise surprise sur ce front-là.