Lutte contre la corruption : connaissez-vous la transaction pénale ?

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Margaux Baralon
ANTICORRUPTION - Cette mesure, qui permet aux entreprises accusées de corruption de payer une amende pour éviter des actions en justice, a été retirée du projet de loi Sapin II. Mais devrait refaire son apparition au Parlement.

Présentée en conseil des ministres mercredi, la loi Sapin II, destinée notamment à lutter contre la corruption, a subi quelques évolutions depuis les premières annonces gouvernementales, le mois dernier. Parmi elles, la disparition de la transaction pénale. Cette mesure phare du texte, encore méconnue en France, a toutes les chances d'être réintégrée au projet de loi lors des débats parlementaires. Et instaurerait alors un précédent en droit français.

  • Qu'est-ce que la transaction pénale ?

La transaction pénale s'inspire du Deferred Prosecution Agreement américain. Cette "convention de compensation d'intérêt public" permet à une entreprise poursuivie pour corruption d'éviter un procès en payant une amende. Dans la version initiale de la loi Sapin II, il était prévu qu'elle puisse atteindre 30% du chiffre d'affaires moyen sur les trois dernières années de la société incriminée. Elle s'accompagnait de la mise en place d'un contrôle anticorruption suivi pendant trois ans pour prévenir toute nouvelle infraction.

Pour l'entreprise, la transaction pénale était intéressante car elle permettait d'éviter, outre les poursuites judiciaires, toute reconnaissance de culpabilité. Le dispositif, bien que coûteux, aurait donc été plus avantageux que de plaider coupable. La transaction pénale était également soutenue par certains organismes de lutte contre la corruption, à l'instar de Transparency International. Dans une note publiée en septembre 2015, l'ONG préconisait son introduction dans le droit français, jugeant que celui-ci ne permet pas, actuellement, de lutter efficacement contre la corruption transnationale.

  • Pourquoi l'introduire en France ?

"En l'état actuel, seules deux options s'offrent au procureur de la République lorsqu'il est confronté à des faits de corruption transnationale : engager des poursuites ou classer l'affaire sans suite. Aucune de ces réponses pénales n'est véritablement satisfaisante", estimait Transparency International. En effet, les poursuites judiciaires sont longues et coûteuses, difficiles à mettre en œuvre alors que "les moyens de la justice sont particulièrement limités en France". Sans compter qu'une condamnation, qui touche durement la réputation de l'entreprise, donc son activité, a des conséquences négatives sur l'emploi. Dans le cas d'un classement de l'affaire sans suite, non seulement cela "peut être considéré comme une situation d'impunité intolérable", mais cela n'équivaut pas à un blanchiment de la société épinglée.

Pour appuyer ses propos, Transparency International pointe l'absence de condamnations définitives pour corruption transnationale par la justice française. Condamné en 2012 pour la corruption présumée d'agents publics au Nigeria, le groupe industriel Safran a finalement été relaxé en appel l'an dernier. Quant à Total, condamné pour le détournement du programme de l'ONU "Pétrole contre nourriture" en Irak, il s'est pourvu en cassation, ce qui promet d'allonger encore une procédure qui a déjà duré onze ans. Pendant ce temps, les Etats-Unis distribuent de lourdes amendes à tour de bras : Alstom, Total, Alcatel-Lucent ou encore Technip ont déboursé des millions de dollars ces dernières années pour éviter des poursuites.

  • Qui critique cette "justice négociée" ?

Malgré des soutiens de part et d'autre, la transaction pénale reste controversée. Des ONG, comme Oxfam France ou Anticor, et des syndicats, à l'instar de Solidaires Finances Publiques et du Syndicat de la magistrature, ont appelé la semaine dernière à la "suppression pure et simple" de ce dispositif. Selon ces organismes, la transaction pénale est une "possibilité de transiger avec la justice" qui "introduirait un précédent grave dans le fonctionnement de la justice française".

ONG et syndicats dénoncent "un pas vers une déresponsabilisation des personnes morales pour des faits de corruption et une impunité de fait, à contrecourant des initiatives internationales et nationales en cours". Sans compter une justice à deux vitesses, favorisant les entreprises pouvant se permettre de payer des sommes astronomiques.

  • Pourquoi la mesure a-t-elle été abandonnée (et pourquoi elle pourrait revenir) ?

La transaction pénale ne figure donc pas dans la version finale de la loi Sapin II présentée en conseil des ministres. Le ministre des Finances l'avait annoncé lui-même dans le Journal du Dimanche du 27 mars, indiquant qu'il suivait l'avis défavorable du Conseil d'Etat sur le sujet. Selon Les Echos, les doutes du Conseil d'Etat portent notamment sur la portée du dispositif. Pour les juges, la transaction pénale ne peut s'appliquer à tous les faits de corruption, et doit donc être restreinte.

Mais sur le fond, le Conseil d'Etat reconnaît l'efficacité de la justice négociée dans la lutte anticorruption. A Bercy, on reste donc favorable à l'introduction de la mesure, sous la forme d'amendements déposés pendant les débats parlementaires. "Il y a des perspectives, des possibilités d'évolution" dans l'avis du Conseil d'Etat, a déclaré Michel Sapin mercredi, appelant députés et sénateurs à "enrichir" le texte. Celui-ci devrait arriver au Parlement fin mai ou début juin, en vue d'une adoption au début de l'été.