L'Ukraine, aussi, bénéficie économiquement du gaz russe

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Vincent Hervouet
Le gaz russe, élément clé de la riposte à Vladimir Poutine ? Depuis le début de la guerre en Ukraine, les dirigeants européens sont pointés du doigt lorsqu'ils refusent de refuser d'en importer. Pourtant, l'Ukraine, aussi, bénéficie encore de ce business. Pour notre éditorialiste Vincent Hervouet, il est un peu trop facile de culpabiliser les Européens en la matière...
EDITO

Malgré la guerre entre Ukraine et la Russie, le bizness continue et même... entre les deux pays. C’est un chiffre livré par le patron de Naftogaz, la compagnie nationale, l’équivalent de GDF en Ukraine. Naftogaz assure le chauffage de 12 millions de familles. Évidemment, la guerre perturbe le service. Quand un missile russe s’écrase sur un immeuble, il faut couper le gaz de tout le pâté de maisons, en urgence. La compagnie s’y emploie avec des équipes qui se précipitent sur place. Au total, après un mois de conflit, 300.000 abonnés sont privés de gaz.

300.000 sur 12 millions… Le chiffre colle mal avec les images qui passent en boucle et qui montrent le calvaire des habitants de Marioupol. L’Ukraine est sous les bombardements, les destructions sont considérables, notamment des centaines de kilomètres de routes, des infrastructures de transport, des millions de mètres carrés d’appartements et de bureaux dévastés. Mais pour 97,5% des abonnés, il y a le gaz à tous les étages.

30% du gaz livré aux Européens passe encore par l’Ukraine

Est-ce qu’on est sûr de cette évaluation ? C’est celle de la compagnie, livrée au Washington Post. Une question en amenant une autre, il faut se demander d’où vient ce gaz. L’Ukraine est au carrefour de plusieurs réseaux de gazoducs qui acheminent l’énergie de la Sibérie, de l’Oural et du Caucase russes vers l’Europe de l’ouest et les Balkans. Le principal s’appelle Fraternité (cela doit être celle d’Abel et Caïn...) C’est d’ailleurs pour s’affranchir de cette escale ukrainienne, de cette dépendance que les Russes ont construit ces dernières années Nord Stream 2, qui passe sous la mer Baltique et Turkish-Stream, qui passe sous la Mer noire.

Reste que 30% du gaz livré aux Européens passe encore par l’Ukraine. 40 milliards de mètres cubes par an qui finissent leur périple dans les chaudières ou les centrales d’Allemagne, d’Italie, de Roumanie, de Hongrie, de Slovaquie et de république tchèque. L’Ukraine prête son sous-sol et touche en échange deux sortes de loyers. Un en nature, le gaz qu’elle prélève au passage. Et l’autre en espèces, les royalties qu’elle encaisse. Pour la période 2020-2025, le montant s’élève à 7 milliards d’euros.

On aurait pu penser que depuis le 24 février, le gazoduc était à l’arrêt, les installations menacées. Pas du tout ! Les artilleurs les ont épargnées. Le trafic se fait comme d’habitude. C’est-à-dire que les Russes continuent de livrer le gaz, comme ils l’ont toujours fait, même aux pires moments de la guerre froide. Et les Ukrainiens continuent d’encaisser les loyers, comme si de rien n’était. C’est du jamais vu.

Les Européens sont si faciles à culpabiliser

Pourtant les dirigeants ukrainiens reprochent amèrement à l’Europe de l’ouest d’acheter ce gaz et ce pétrole russe qui passent par leur territoire ! L’hôpital se fout de la charité. Les Ukrainiens reprochent mais ils gardent le robinet ouvert. Ils critiquent les clients mais ils touchent au passage. Ils combattent la Russie mais ils acceptent l’argent de Moscou. C’est un grand paradoxe que ces deux pays qui font en même temps la guerre et des affaires. 

Il y a là de quoi relativiser le chantage moral qu’exerce le président Zelensky, exigeant des Européens qu’ils cessent illico de commercer avec la Russie. La semaine dernière, il s’est fait applaudir debout par députés et sénateurs français, alors qu’il venait de citer Renault, Auchan, Leroy-Merlin qui ont des dizaines de milliers de salariés russes et qu’il accuse d’être les sponsors de la machine de guerre russe.

Les Européens sont si faciles à culpabiliser. Ils ont honte de n’avoir pas rompu tous les ponts avec la Russie. Ils ont peur de sentir le gaz. Ils ont tort. Ils suivent l’exemple de réalisme que leur donnent Kiev et Moscou. Pour eux, l’argent n’a pas d’odeur.