Cuba et la France sont en bons termes depuis le début de la réouverture de l'île. 2:26
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Sébastien Krebs, édité par C.L. , modifié à
L'ouverture progressive de l'île attire des investisseurs du monde entier. Dans un système encore très contrôlé, les entreprises françaises tirent leur épingle du jeu.
L'ENQUÊTE DU 8H

Hasard du calendrier, la mort de Fidel Castro coïncide avec une nouvelle étape de l'ouverture de l'île initiée par son frère Raul. Depuis lundi, les premiers vols commerciaux réguliers assurent une liaison directe entre les États-Unis et La Havane, depuis New York et Miami. Depuis que Raul Castro a initié cette ouverture et qu'il a entrouvert le pays aux investisseurs étrangers, "le monde entier vient voir", confie un connaisseur du pays. Et les Français veulent se faire une place au soleil.

400 projets annoncés. Cela se sentait particulièrement il y a trois semaines lors de la Foire internationale de La Havane, rendez-vous annuel rassemblant des entreprises venues de 70 pays. Il n'y avait jamais eu autant de groupes français : 48, soit le double de l'année dernière ; et d'entreprises américaines, une vingtaine. L'État cubain cherche à attirer de grands groupes. Pas moins de 400 grands projets ont été annoncés pour développer les infrastructures touristiques, pétrolières, agro-alimentaires. Les besoins sont gigantesques : il faudrait deux milliards de dollars par an d'investissements pour moderniser le pays, estime le gouvernement. Chacun se positionne, c'est un défilé continu de délégations étrangères : 184 l'an dernier, dont une trentaine de chefs d'Etat ou de gouvernement !

La France en bons termes.Les entreprises françaises sont plutôt bien vues. Une soixantaine sont déjà présentes. Et il y a des signes : François Hollande a été le premier chef d'État à se rendre à Cuba après le dégel avec les États-unis, avant même Barack Obama. En février, c'est à Paris que Raul Castro est venu, pour son premier voyage en Europe. Ce qui se joue d'abord, c'est le tourisme, avec les premiers bateaux de croisière qui font escale à La Havane, les vols directs et la promesse de ferrys pour relier la Floride. Le nombre de touristes américains a presque doublé l'an dernier et la hausse atteint +30% pour les Français.

Bouygues, Vinci et la SNCF au travail. Pour accueillir tout ce monde, il faut impérativement des hôtels et des infrastructures. Mais c'est toujours le gouvernement, via le ministère du Tourisme, qui pilote tout et qui attribue les projets. Bouyges Construction est bien placé : le groupe français a construit plusieurs nouveaux hôtels et s'est vu attribuer le projet d'extension de l'aéroport, en collaboration avec Aéroports de Paris. Mais ce n'est pas tout. La SNCF est sur les rangs pour des projets ferroviaires, Vinci prend des contacts en espérant récupérer des concessions d'autoroutes, le secteur des télécoms se positionne pour le développement en cours des réseaux Internet...

C'est décourageant, fatigant, frustrant. La bureaucratie est très lourde

Les PME en difficulté. En revanche, ce qui parait facile pour un grand groupe ne l'est pas forcément pour une PME. Car cette ouverture est très lente. Elle se fait au coup par coup, sur certains secteurs et l'État garde la main-mise sur tout. Un exemple : l'entreprise française AGSM, qui fabrique des machines destinées à l'impression, veut exporter ses produits à Cuba. Elle a des clients intéressés mais ça bloque. Cela fait deux ans que le patron, Jean-Claude Dauphin, prend des contacts mais il n'a pas vendu une seule machine.

La bureaucratie bloque tout. Il explique qu'il est encore impossible de vendre directement à un client, qu'il faut impérativement passer par une centrale d'achat, sous contrôle étatique et qui impose ses conditions ainsi que son délai de paiement : il faut un an avant d'être payé ! Aucune PME ne peut supporter ça, dit-il, et aucune banque n'a accepté de le couvrir. "Je n'ai jamais connu ça, nulle part ailleurs. C'est décourageant, fatigant, frustrant. Même les Cubains ne peuvent rien faire, ils ne peuvent pas passer outre le système. C'est la bureaucratie qui est très lourde. Il faut persévérer, il y a des besoins énormes. Peut-être qu'un jour le pays s'ouvrira un peu plus, qu'on aura plus de latitude. Je mise pour essayer de gagner un jour". Jean-Claude Dauphin ne désespère pas, il retournera à Cuba en février. 

Être prêt le moment venu. Il n'est pas le seul dans ce cas, d'autres dirigeants de PME m'ont dit la même chose : "aujourd'hui on regarde, on prend des contacts, mais il n'y a pas encore forcément de marché. "Il n'y a aucun réseau de distribution, c'est très lent, mais tout cela va finir par arriver. Et il faudra être prêt, le moment venu." D'autant que l'élection de Donald Trump aux États-Unis fait planer le doute sur la poursuite de l'ouverture de Cuba.