La France, championne de la taxation des biens immobiliers

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La CPO dénonce une fiscalité immobilière "complexe et sans logique explicite". © Boyan Topaloff / AFP
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Romain David , modifié à
Un rapport de la Cour des prélèvements obligatoires, ciblant la fiscalité immobilière française, met à mal le cliché de la pierre comme investissement rentable.

"Je transformerai l'ISF en impôt sur la rente immobilière. J'exonérerai tout ce qui finance l'économie réelle". Ce tweet de campagne d’Emmanuel Macron, posté il y a presque un an jour pour jour, aura fait bondir de nombreux propriétaires, avant de trouver sa traduction dans la loi de finance 2018. En octobre, les députés ont acté la fin de l’impôt sur la fortune à la faveur d’un impôt sur la fortune immobilière (IFI), ciblant désormais les contribuables dont le patrimoine immobilier dépasse les 1,3 million d’euros. Une mesure qui voudrait s’attaquer à un pécule resté trop longtemps à l’ombre, selon le discours tenu par la majorité. Pour autant, un rapport de la Cour des prélèvements obligatoires publié jeudi semble tordre le cou à l’idée d’une rente immobilière dont l’imposition serait insuffisante, mettant en lumière les très nombreuses taxes déjà attachées à la pierre en France.

Multiplication des taxes. Ainsi, un bien immobilier ne cesse d’être taxé depuis son acquisition jusqu’à sa revente : frais de notaires, incluant les droits de mutations, au moment de l’achat d’un bien ; taxe foncière ; impôts sur les revenus locatifs pour les bailleurs puis impôts sur les plus-values au moment de la vente. Des frais de successions peuvent également venir s’ajouter à cette liste. Enfin, depuis le 1er janvier, certains contribuables devront aussi compter avec l’IFI.

La France, mauvaise élève de l’OCDE ? Les sages de la rue Cambon soulignent ainsi "la part prépondérante de l’immobilier dans l’assiette des prélèvements sur le capital" en France. En effet, deux tiers de ces prélèvements concernent l’immobilier, soit 50 milliards d’euros sur les 80 milliards qui pèsent sur les ménages. C’est à la taxe foncière que revient la palme : elle englobe 20,1% des prélèvements liées à l’immobilier. Au total, les impôts fonciers représentent 6% des prélèvements obligatoire en France contre 3,3% en moyenne dans les pays de l’OCDE. Si la France n’égale pas le niveau des Etats-Unis et du Royaume-Uni (10%), elle arrive loin devant la Belgique et les Pays-Bas (3%), mais surtout l’Allemagne (1%) "où le fédéralisme et la délocalisation de la politique du logement permettent de corriger le tir plus rapidement", précise auprès d’Europe 1 l’économiste Vincent Renard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des questions d’économie foncière et immobilière. Ce dernier pointe également les fortes disparités qui se cachent derrière les chiffres français : "La situation est incroyablement ségrégée : on paye plus d’impôts locaux à Bobigny que dans le 16e arrondissement" ou près d’un foyer fiscal sur 6 a été assujetti à l’ISF en 2017.

" Entre ceux qui ne bougent pas de leur cinq pièces sans payer grand-chose et les ‘dodus dormants’, il y a des situations choquantes "

Un marché accablé par les politiques fiscales. La CPO dénonce ainsi "un système de prélèvement complexe et sans logique explicite", et dresse le constat d’un immobilier bien moins rentable qu’il n’y parait, avec des "comportements de rétention" freinant la mobilité du marché, et imputés aux taxes pesant sur les transactions, là encore plus élevées que la moyenne de l’OCDE (0,65 du PIB contre une moyenne de 0,4%). "Le montant des droits de mutation n’est absolument pas justifié, les gens les remarquent peu car ils sont englobés dans les frais d’acquisition d’un bien immobilier, mais ils ont été augmentés au fil des années pour financer les collectivités", relève l’économiste Henry Sterdyniak, membre de  l'OFCE.

"Il faut rendre hommage à la Cour des comptes qui nous habitue à des rapports qui savent poser les bonnes questions", salue de son côté Michel Mouillard, responsable Observatoire trimestriel Crédit logement-CSA. "L’immobilier en France souffre de l’instabilité fiscale. L’Etat modifie d’une loi de finance à l’autre les engagements pris. Comment des investisseurs peuvent voir dans quoi ils s’engagent ?", résume-t-il. Pour lui, "l’IFI est un produit mis en place pour réduire vite et fortement le déficit mais qui laisse perplexe, car il ne dit pas comment fluidifier l’accès au logement en France".

"Il faut inscrire la fiscalité de l’immobilier dans la durée". "Une chose est certaine, le capital immobilier est beaucoup trop immobile. Entre ceux qui ne bougent pas de leur cinq pièces sans payer grand-chose et les ‘dodus dormants’, ces organismes HLM qui accumulent les réserves financières sans les investir dans de nouvelles constructions, il y a des situations choquantes dans un contexte où les jeunes rencontrent des difficultés considérables à se loger", explique Vincent Renard. Pour fluidifier le marché, la CPO propose notamment d’unifier la fiscalité des logements vides et meublés, une révision de l’assiette de la taxe foncière ainsi qu’un allègement des taxes payées lors d’un transfert de propriété. Mais attention, "il faut inscrire la fiscalité de l’immobilier dans la durée et la stabilité de manière à pousser les acteurs vers des investissements de long terme", tient à ajouter Michel Mouillard.