La dérisoire lutte contre la fraude fiscale

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Les affaires Cahuzac et Offshore leaks confirment la très faible priorité accordée à ce combat.

Le contexte. L’affaire Cahuzac et les révélations sur le "Offshore leaks" sont venues souligner une nouvelle fois cette semaine l’inefficacité criante de la lutte contre la fraude fiscale. Manque de moyens et de volonté politique, peu de coordination, etc. : voilà ce que pointent les experts interrogés par Europe1.fr. Pourtant, les pistes ne manquent pas pour combattre ce fléau.

Un constat amer pour préambule. Les chiffres évoqués à l’occasion du "Offshore leaks" donnent le tournis : l’évasion fiscale représenterait au moins 5.500 milliards d’euros selon le Fonds monétaire international (FMI), voire de 17.000 à 26.000 milliards si l'on en croit l’ONG Tax Justice Network. Consciente des lacunes du système, la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion des capitaux s’est penchée l’an dernier sur la question. Cinq mois de travail et 130 auditions plus tard, elle a rendu en juillet 2012 un rapport au vitriol qui pointe les limites de notre système fiscal. Une série de réformes s’impose donc, que les ONG ne cessent de réclamer.

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1. Donner des moyens à l’administration fiscale. Dans le jeu de cache-cache que se livrent les gendarmes et les voleurs, ces derniers ont toujours eu une longueur d’avance. C’est encore plus vrai depuis que l’administration fiscale a été fragilisée par les gouvernements successifs. "On a progressivement démobilisé, voire détruit, les services d’enquête compétents et les pôles financiers des tribunaux", dénonçait Antoine Peillon, journaliste auteur du livre Ces 600 milliards qui manquent à la France, jeudi sur Europe 1. "La volonté politique affichée n’a pas correspondu à la réalité : on a coupé les ailes des juges d’instruction en réduisant leurs moyens, le pôle financier du tribunal de Paris est en sous-effectif", confirme pour Europe1.fr Jacques Terray, vice-président de Transparence Internationale.

Signe du malaise ambiant, 82 magistrats sont sortis de leur réserve dans une tribune publiée le 28 juin 2012 dans Le Monde, regrettant que "la décennie qui s'achève ait vu se déliter les dispositifs de prévention et de répression de la corruption, comme si les exigences de probité et d'égalité de tous devant la loi s'étaient dissoutes dans la crise". Renforcer les moyens humains, techniques et financiers de l’administration fiscale est donc une priorité, préconise le rapport sénatorial.

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2. Opérer une refonte des lois et créer une autorité de référence. Tous les acteurs du secteur en conviennent : une révision générale des lois s’impose pour mettre fin au mille-feuille de lois adoptées de manière éparpillée et qui présentent de nombreuses failles. Le rapport sénatorial propose à cette occasion de renforcer les sanctions et de rallonger les délais de prescription à 15 ans, mais aussi de créer un Haut commissariat à la protection des intérêts financiers publics. Ce dernier serait chargé de fournir des statistiques, d’évaluer l’efficacité des règles existantes et de proposer des réformes. Avec un impératif : éviter de devenir un de ces "comité Théodule" qui se sont multipliés mais sans moyens ni feuille de route claire.

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3. Obliger les services de renseignements à collaborer. Non seulement les structures dédiées à la délinquance financière ont été affaiblies mais elles ne jouent pas toujours le jeu, comme le montre un rapport rédigé par un "collectif d'officiers du renseignement intérieur" révélé vendredi par La Croix. La direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et Tracfin y sont notamment accusés ne pas avoir transmis à la justice des informations stratégiques alors qu’ils surveillaient depuis des mois plusieurs fraudeurs aidés par la banque suisse UBS.

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4. Renforcer la transparence. "Le point crucial, c’est la transparence sur les flux financiers. D’où viennent-ils, où vont-ils ? On doit être capable d’identifier à tous les coups à qui appartiennent des fonds. Or tout cela est rendu impossible par les trusts et autres sociétés coquilles…même les banquiers n’y arrivent pas", constate Jacques Terray, de Transparence Internationale. Les ONG appellent donc de leurs vœux une réforme qui obligerait les banques à renforcer la traçabilité des mouvements financiers, mais aussi à établir une liste des établissements ne jouant pas le jeu.

Les entreprises sont aussi concernées par la fraude fiscale, pour des montants probablement plus élevés encore. "Les sociétés devraient être obligées de publier plus d’informations financières, et ce dans tous les pays où elles sont installées, pour limiter la pratique des prix de transfert", souligne Félix Delhomme, en charge des sujets financiers chez Oxfam. Cette technique des prix de transfert est un jeu de bonneteau dont le but est de payer le moins d’impôts. Ainsi, Glencore, leader mondial du négoce de matières premières, extrait des minerais de Zambie mais les vend sans aucune marge à un de ses filiales installée dans un paradis fiscal. C’est ensuite cette dernière qui vend la marchandise au prix du marché et encaisse les profits presque sans taxe. Quant à la mine zambienne, elle ne réalise officiellement aucun bénéfice depuis des années et prive l’Etat de rentrées fiscales. Le rapport du Senat préconise donc d’obliger les multinationales à rendre publics leurs schémas fiscaux, les ONG espérant même qu’elles précisent leurs bénéfices pays par pays.

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5. Que les politiques donnent le ton. Si le discours de nos élus sur la fraude fiscale est des plus fermes, il n’est pas toujours suivi d’actes. Pire, les gouvernements successifs ont envoyé des signaux ambigus. A peine élu président de la République, Nicolas Sarkozy a ainsi défendu devant le Medef le 30 août 2007 la dépénalisation du droit des affaires. Ministre du Budget de François Fillon, Eric Woerth a instauré une "cellule de dégrisement" pour inciter les fraudeurs à rapatrier leur fortune en échange de sanctions allégées, avec des résultats mitigés.

Une amnistie fiscale reprise par 20 députés UMP qui ont déposé un projet de loi le 28 mars 2013... juste avant que n’éclate l’affaire Cahuzac. Pire, comme le souligne vendredi Laurent Guimier dans son Vrai-Faux de l’Info, l’argumentaire qui accompagne ce projet de loi est un copier-coller d’une tribune rédigée par un avocat fiscaliste… dont le métier est justement d’accompagner les candidats à "l’optimisation fiscale" ou de les défendre lorsqu’ils se font attraper.

6. Convaincre les autres pays d’agir. Dans son rapport, le Sénat préconise également de mettre la diplomatie française au service de cette lutte pour faire adopter des règles au niveau européen et convaincre la communauté internationale d’agir. Car si la France agit seule, ses réformes risquent d’être sans effets. Sauf que l’Hexagone peut lui-même être considéré à certains égards comme un paradis fiscal, notamment dans les avantages qu’il offre au Qatar, comme le souligne avec malice Axel de Tarlé dans le Zoom Eco d’Europe 1.