La Chine peut-elle affaiblir le vin français ?

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Pékin menace l'UE de sanctions anti-dumping. Faut-il les redouter ? Réponse en cinq points.

L'annonce. "Les menaces de la Chine sur le vin sont gênantes et font très peur. Elles doivent être prises au sérieux". À l'instar d'Alain Sichel, président de l'Union des maisons de Bordeaux, interrogé mercredi sur Europe1, les producteurs viticoles français sont sur le qui-vive. La "menace" dont il est question ? L'annonce faîte par Pékin de l'ouverture en Chine d'une "enquête anti-dumping" sur les vins européens importés dans l'empire du Milieu. Une initiative annoncée en réponse à la décision de Bruxelles de taxer les panneaux solaires chinois aux frontières de l'Union européenne.

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L'enjeu. Le ministère français du Commerce extérieur a immédiatement fustigé la décision de la Chine, la jugeant "exagéré et condamnable". Et François Hollande a demandé une "réunion" des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne (UE) pour dégager "une solidarité de point de vue" sur la question. Et pour cause : la France a gros à perdre. Le montant annuel des exportations de vins et spiritueux vers la Chine dépasse en effet 1 milliard d'euros. Et le premier exportateur européen vers l'empire du Milieu est la France, avec 140 millions de litres de vin vendus en 2012, pour un montant de 788 millions de dollars (603 millions d'euros), selon les douanes chinoises.

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C'est quoi cette "enquête anti-dumping"? Le "dumping" est un procédé commercial illégal, en vertu des règles de l'OMC dont sont membres  la Chine et l'UE. En clair, il y a "dumping" lorsqu'un pays exporte des produits sans respecter les règles de la libre concurrence, en baissant les prix en dessous des prix du marché (lorsque les entreprises vendent à perte par exemple) ou en accordant trop de subventions publiques à l'exportation de ses entreprises. La justice chinoise va bientôt envoyer des questionnaires à tous les acteurs du marché du vin (producteurs européens et chinois, négociants, vendeurs, autorités publiques etc.) et, selon le résultat, pourra condamner ou non l'Europe pour "dumping", à moins que celle-ci ne fasse appel devant l'OMC. "Nous avons observé une hausse rapide des importations vinicoles de l'UE ces dernières années et nous entreprendrons cette enquête conformément à la loi", s'est justifiée Pékin.

Que se passera-t-il si le "dumping" est avéré? Le gouvernement chinois pourra décider de relever ses taxes sur l'importation de vin européen (elles s'élèvent déjà à 48%). Or, une hausse des droits de douanes auraient de lourdes conséquences pour les producteurs du Vieux-continent. "En Chine les taxes sont déjà très élevées. Les augmenter entrainerait des dégâts très importants sur nos exportations. Il est absolument essentiel d'évoluer sereinement dans ce dossier", a prévenu Alain Sichel sur Europe1.

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Les producteurs européens font-ils vraiment du "dumping"? C'est en tout cas l'avis de l'Association chinoise de l'industrie des boissons alcoolisées, qui a récemment fustigé les subventions de l'UE. "Presque chaque producteur de vin chinois a subi l'impact de l'Union européenne", a ainsi dénoncé Wang Zuming, un responsable de l'association. Mais "la production chinoise est encore limitée. On peut douter de leur expertise en matière de dumping", tempère pour sa part l'économiste spécialiste de l'Asie, Claude Meyer, contacté par Europe1.fr. "Du dumping, dans les vins de Bordeaux en tout cas, il n'y en a pas", estime également Alain Sichel, de l'Union des maisons de Bordeaux.

Les producteurs Français perçoivent certes 300 millions d'euros par an de subvention, dont 280 de l'UE. Mais la Commission européenne a démenti fermement toute subvention spécifique pour les exportations. Il reviendra donc à la Chine de décider si cela est de nature à entraver la concurrence  avec ses producteurs locaux. "Ils vont se glisser dans la brèche des subventions et feront ce qu'ils veulent de toute façon. S'ils décident des sanctions et augmentent les taxes, on ne pourra pas les en empêcher. Ils trancheront de manière unilatérale", prédit pour sa part Olivier Poels, journaliste à la Revue des vins de France, interrogé par Europe1.fr.

Quel recours pour l'UE ? Si Pékin adopte des sanctions "anti-dumping" contre les vins européens, l'Union européenne pourra toujours faire appel devant l'OMC. Ce sera alors à l'Organe de règlement des différends (ORD) de décider s'il y eu ou non "dumping", et d'exiger de la Chine qu'elle réduise ses taxes. "Mais le jugement peut prendre des mois, voire des années", estime  l'économiste Claude Meyer.

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Pékin osera-t-il surtaxer le vin ? La question divise les experts. "Chacun montre ses muscles et son pouvoir de rétorsion. L'UE taxe les panneaux solaires chinois et la Chine menace le vin. Et elle a déjà voté des sanctions par le passé, sur d'autres produits. En général, elle ne se prive pas de mettre ses menaces à exécution ", analyse Claude Meyer. "Cela apparaît comme une menace de guerre commerciale", craint également Tao Jingzhou, associé du cabinet juridique Dechert LLP China. "Le conflit est assurément en train de dégénérer", renchérit Yao Wei, une économiste basée à Hong Kong pour la Société Générale.

D'autres observateurs se montrent toutefois plus confiants. "Je ne suis pas inquiet outre mesure. Je ne sais pas si les Chinois vont sacrifier leur vin préféré (le Bordeaux ndlr) pour une histoire de panneaux solaires", estime ainsi Pierre Lurton, producteur de Saint-Emilion. "Même si le vin était surtaxé, je ne pense pas que ça arrêterait les investissements chinois, ni même les ventes de vin en Chine car la classe moyenne est énorme et a les moyens", tranche également Karin Maxwell, de l'agence immobilière Maxwell-Storrie-Baynes, spécialisée dans la vente de vignobles.