Grève à Air France : quel avenir pour la compagnie aérienne ?

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La grève continue à Air France malgré l'absence de patron. © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
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avec AFP , modifié à
Sans patron depuis la démission de Jean-Marc Janaillac jeudi mais avec une grève qui continue, Air France voit son avenir, déjà assombri par des pertes financières, s'obscurcir un peu plus.
ON DÉCRYPTE

C’est un coup de tonnerre qui n’en finit pas de résonner. La démission vendredi du PDG d’Air France Jean-Marc Janaillac, résultat d’un vote défavorable des salariés lors de la consultation sur les salaires, laisse la compagnie aérienne sans patron au pire moment. En effet, la grève, elle, continue mardi avec un 15ème jour de mobilisation, sans qu’aucune négociation ne soit envisageable dans l’immédiat. Une situation périlleuse qui pose la question de l’avenir d’Air France.

Air France peut-elle plonger ?

Sans pilote dans l’avion et en pleine zone de turbulences, Air France risque bel et bien de piquer du nez. La métaphore est facile mais elle n’a jamais autant convenu à la situation inquiétante de la compagnie. L’action d’Air France-KLM a dévissé de 13% lundi, conséquence prévisible du départ de Jean-Marc Janaillac vendredi soir. "C'est la fin de l'approche mesurée du PDG Janaillac", ont estimé dans une note les analystes de Société Générale, qui ont dans la foulée abaissé leur recommandation, passant d'"acheter" à "vendre", ainsi que leur objectif de cours, comme d'autres analystes.

Mais si l’on se fie à la seule cotation, ce coup de théâtre est simplement un clou de plus dans le cercueil de la compagnie : depuis janvier, Air-France KLM a cédé plus de 48% de sa capitalisation boursière. Vendredi, le groupe avait publié des résultats de mauvaise facture, avec une perte nette de 269 millions au premier trimestre, creusée par trois jours de grève, et la prévision d'un résultat d'exploitation 2018 en "baisse sensible".

Si Jean-Marc Janaillac a redressé la situation compliquée d’Air France à son arrivée en juillet 2016, la santé de la compagnie aérienne est toujours fragile, la faute notamment à la rude concurrence des low-cost et des transporteurs du Golfe. "Si Air France ne fait pas les efforts de compétitivité nécessaires, qui permettront à ce fleuron national d'être au même niveau que Lufthansa ou que d'autres compagnies aériennes mondiales, Air France disparaîtra", a ainsi averti Bruno Le Maire. "Le risque n'est pas vital, c'est simplement qu'Air France devienne une compagnie de deuxième catégorie", analyse de son côté l'économiste Nicolas Bouzou, sur Europe 1.

La grève va-t-elle se poursuivre ?

A priori, les grévistes n’ont aucune raison de cesser leur mouvement : leurs revendications n’ont toujours pas été acceptées et ils sont désormais confortés par le vote de vendredi, rejet évident de la politique salariale de la direction d’Air France. Reste que sur les pistes, la grève bat de l'aile, notamment du côté de ceux qui la font vivre : les pilotes seront 14% à faire grève mardi, quand ils étaient plus de 30% en moyenne en avril. La grève est bel et bien "minoritaire", comme le répète la direction, mais retrouve une certaine légitimité après la victoire du "non". Avec 80% de participation, c'est un "message extrêmement fort" envoyé par le personnel, selon l'intersyndicale, qui continue de réclamer de "véritables négociations".

Les représentants des salariés devaient se retrouver lundi après-midi pour définir la stratégie à adopter : soit lever le pied, au risque de perdre la dynamique, soit accroître la pression, au risque de passer pour des "jusqu'au-boutistes". Une solution intermédiaire pourrait être trouvée : "calmer le mouvement pour l'instant", tout en déposant un nouveau préavis "à court ou moyen terme, pour dire (à la direction) que ce n'est pas fini", explique Christophe Campestre du Spaf, deuxième syndicat de pilotes. "Ce n'est pas parce que la consultation nous a été favorable qu'on va arrêter tout d'un coup et attendre benoîtement que (la direction) veuille bien se rasseoir à la table des négociations."

Les négociations vont-elles reprendre rapidement ?

La direction d'Air France assure que c'est impossible dans l'immédiat. "Faute d'un nouveau mandat, la direction générale d'Air France ne sera pas en mesure, dans cette période de transition, d'ouvrir quelque négociation que ce soit sur les salaires", a écrit Jean-Marc Janaillac vendredi aux syndicats représentatifs, après avoir annoncé sa démission. Mais pour le Spaf, il ne faudrait pas que, "sous prétexte de changement de direction, ils enlisent la situation", alors qu'il y a "toujours un directeur général à Air France".

Les administrateurs doivent d'ailleurs donner à Franck Terner "un mandat clair" pour qu'il fasse un geste envers les syndicats, ce qui "faciliterait la transition avant l'arrivée du prochain PDG", développe Christophe Malloggi pour FO, assurant que "la vacance du pouvoir, ça n'existe pas".

Quoi négocier et avec qui ?

L'intersyndicale a fait tomber le président d'Air France, alors qu’elle avait le directeur général (Franck Terner) et le DRH Gilles Gateau dans le collimateur. Sans donner de nom, la CFDT affirme que la démission de Jean-Marc Janaillac "en appellera sans doute d'autres dans les prochains jours". "La stratégie Gateau-Terner a volé en éclats", ils sont "complètement discrédités", tranche Jérôme Beaurain (SUD). "Nous avons assisté à une parodie de négociation conduite par notre DRH, qui nous a vraiment emmenés dans le mur", a affirmé lundi sur RTL Philippe Evain (SNPL).

Néanmoins, le président du puissant syndicat de pilotes veut croire qu'une sortie de crise rapide est possible : "La direction propose 2% (d'augmentation en 2018), les salariés demandent 5%, il y a forcément un compromis qui est possible". En attendant de trouver son remplaçant, le conseil d'administration d'Air France a demandé samedi à Jean-Marc Janaillac d'assurer ses fonctions jusqu'au 15 mai, date à laquelle "une solution de gouvernance de transition" sera mise en place. Bruno Le Maire a estimé que "la feuille de route du prochain président" est déjà toute tracée : le rétablissement du dialogue social comme priorité absolue, et en deuxième lieu le rétablissement de la compétitivité."

Quelle est la position du gouvernement ?

Bruno Le Maire s’est montré très clair après la démission de Jean-Marc Janaillac : "L'État n'est pas là pour éponger les dettes, venir à la rescousse d'entreprises qui ne feraient pas les efforts nécessaires de compétitivité", a prévenu le ministre de l'Économie, dimanche sur BFMTV. Et d'asséner : "Ceux qui pensent que quoi qu'il arrive, l'État arrivera à la rescousse d'Air France et épongera les pertes d'Air France se trompent."

Le gouvernement appelle chacun à prendre ses responsabilités. L'État français contrôle 14% d'Air France-KLM, ce qui n'en fait qu'un "actionnaire minoritaire", a pris soin de rappeler Bruno Le Maire. De leur côté, Delta Airlines ou China Eastern détiennent chacun 8,8% du capital. "Les 14% que l'État a dans le capital d'Air France, c'est l'argent des Français. Comme ministre de l'Économie, je suis comptable du bon emploi de l'argent des Français", a mis en garde le patron de Bercy.

Bruno Le Maire a également mis en garde les salariés grévistes. "J'en appelle au sens des responsabilités de chacun, des personnels navigants, des personnels au sol, des pilotes qui demandent des augmentations de salaires qui sont injustifiées : prenez vos responsabilités, la survie d'Air France est en jeu", a insisté le ministre de l’Économie. "Quand on a le niveau de rémunération actuel des pilotes, que l'on sait que l'entreprise est en danger, on ne demande pas des revendications salariales aussi élevées", a-t-il ajouté.