Fermeture de l’usine Ford de Blanquefort : un dossier chaud pour Bercy

Cela fait plusieurs années que Philippe Poutou et ses collègues alertent sur l'avenir de leur usine.
Cela fait plusieurs années que Philippe Poutou et ses collègues alertent sur l'avenir de leur usine. © THOMAS SAMSON / AFP
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L’annonce de la fermeture de l’usine Ford de Gironde fait gronder les salariés, parmi lesquels le candidat à la présidentielle 2017 Philippe Poutou. Le dossier, très politique, est pris au sérieux par Bercy.
ON DÉCRYPTE

Ce sont des salariés sonnés et désabusés qui sont venus pointer mercredi matin à l’usine Ford de Blanquefort, en Gironde. Ford avait annoncé la veille en comité d’entreprise son intention de cesser l’activité de production de boîtes automatiques sur le site, le nouveau modèle n’étant pas "économiquement viable". Un coup de massue pour les 910 salariés, parmi lesquels un certain Philippe Poutou. Conscient des enjeux économiques et politiques du dossier, Bercy s’est immédiatement attelé à trouver une solution.

Pourquoi Ford ferme-t-il l’usine de Blanquefort ?

Actuellement, l’usine girondine produit des carters (des enveloppes protectrices pour les moteurs) et des boîtes de vitesse automatique pour les voitures Ford. Ce sont les secondes qui posent problème. La production du modèle 6F15 arrive à son terme et le groupe automobile se tourne vers la boîte de transmissions 8F-MID. Depuis l’annonce de cette évolution, les salariés réclamaient que Ford confie à Blanquefort la production de cette nouvelle boîte de vitesse.

Mais les responsables de Ford Europe venus en Gironde ont douché leurs espoirs. Après étude, "il s'avère que la fabrication de la nouvelle transmission 8 vitesses n'était pas économiquement viable" sur le site, a tranché le constructeur américain. Ce n’est pas juste l’usine girondine qui est mise à l’écart mais toute l’Europe : la boîte de vitesse sera fabriquée aux États-Unis et exportée sur le Vieux Continent. Sauf que la 8F-MID était la seule option viable pour continuer de faire vivre l’usine. Résultat, Ford a décidé de cesser son activité sur place en 2019.

Ford se porte-t-il bien ?

Pas vraiment et cela explique en partie la fermeture de l’usine de Blanquefort. Le constructeur américain, sixième groupe automobile mondial, est engagé dans un vaste plan de restructuration. En octobre, Ford a présenté un plan de réduction des coûts de 14 milliards d’euros sur cinq ans. Des mesures drastiques qui s’ajoutent aux suppressions de postes massives annoncées en 2017, de l’ordre de 10% des effectifs du groupe en Amérique du Nord et en Asie.

Grâce à ces économies, en 2017, Ford a certes dégagé un bénéfice net de 7,6 milliards d’euros (+65% en un an), ce que n’ont pas manqué de faire remarquer les syndicats de Blanquefort. Mais pas de quoi faire sourire le directeur financier du groupe qui a déclaré lors de l’annonce des résultats : "Nous devons être beaucoup mieux adaptés que nous ne le sommes, quel que soit l’avenir".

La fermeture est-elle une surprise ?

Le constructeur américain est présent depuis 1972 à Blanquefort, où il a employé jusqu'à environ 4.000 personnes. Mais la production n'a cessé de se réduire ces dernières années. Les syndicats de Ford Aquitaine Industries (FAI) ont régulièrement alerté les pouvoirs publics sur leurs craintes pour la survie du site girondin, accusant le groupe automobile de repousser sans cesse des décisions d'investissements  pour gagner du temps. Déjà, en 2009 et 2013, la fermeture avait été envisagée. Il y a cinq ans, Ford avait signé un accord avec les pouvoirs publics et les syndicats garantissant le maintien de la totalité des 900 et quelque emplois jusqu’en mai 2018 en échange d’une subvention publique de 12,5 millions d’euros.

"Ça fait des années qu'on ne travaille plus vraiment, on bricole, on fait des babioles…", déplore Norbert, entré à l'usine en 1986. "A une époque, on sortait jusqu'à 3.000 boîtes de vitesse par jour, aujourd'hui, je ne sais pas si on en sort 500, et encore elles ne sont pas fabriquées ici, on les monte". "Cela fait très longtemps que Ford ne donne aucun signe positif pour sauvegarder le site de Blanquefort", regrette Philippe Poutou, délégué CGT, dans une interview au JDD.

Comment réagissent les salariés ?

"Pour nous, c'est le début d'une nouvelle période pour tenter de changer la donne. Ça va être compliqué, mais nous ne nous démoralisons pas", a-t-il encore résumé Philippe Poutou. "Ford a près de 40 véhicules à lancer. Nous demandons juste qu'un bout de cette production planétaire soit fait sur l'usine de Blanquefort." La combativité du candidat du NPA aux élections présidentielles de 2012 et 2017 n’est pas partagée par tous les salariés.

"Aujourd'hui, c'est un mauvais signal, mais les mauvais signaux, Ford nous y a habitués au fil des années", regrette Jean-Marc Chavant, élu FO, accusant le groupe "d'investir des centaines de millions ailleurs qu'en France". Certains craignent également pour l’après. "Se recaser dans une autre entreprise, c'est impossible, surtout à 50 ans", déplore Pierre, qui travaille à Blanquefort depuis 27 ans, au micro d’Europe 1. "Le mieux serait d'avoir un vrai projet pour cette usine."

Quel avenir pour le site de Blanquefort ?

"L'activité industrielle à Blanquefort dépend de la demande du marché mais les projections actuelles de volume de production sont saines jusqu'au cours de 2019", a précisé Ford après l’annonce de la fermeture. L’activité est donc en sursis pour encore une dizaine de mois, jusqu’à ce que la transmission 6F35 cesse d’être produite. Le problème, c'est qu'"aujourd'hui, personne n'est capable de dire exactement jusqu'à quand il y a du boulot", estime Jean-Marc Chavant.

Chez Ford, on souligne déjà que la "solution viable et pérenne" pourrait passer par "la recherche de tout repreneur potentiel intéressé par le site". "Il y a à Blanquefort des installations et des compétences qui peuvent être exploitées", ajoute-t-on. Et du côté de Bercy aussi on évoque la possibilité de faire appel à des "partenaires externes" pour trouver "de nouvelles activités" à l'usine.

Le dossier peut-il devenir politique ?

Au vu de l’empressement de Bercy à s’emparer du dossier, clairement oui. Comme il l’a fait pour Bosch récemment, Bruno Le Maire a immédiatement pris les choses en main. Dès l’annonce de la fermeture programmée du site, le ministre de l’Économie s’est fendu d’un communiqué pressant le constructeur américain de "garantir la pérennité" de l’usine de Blanquefort. Bruno Le Maire "souhaite que le groupe Ford travaille de manière étroite avec les représentants des salariés, les collectivités locales concernées et l'État afin de garantir la pérennité de ce site industriel et le maintien à long terme de l'emploi".

Le ministre veut donc aller vite : il réunira dès vendredi à Bercy les élus locaux et les représentants des salariés. Parmi eux, Philippe Poutou, devenu au fil des ans un personnage médiatique connu pour ses "punchlines" et ses coups d’éclat, peut inquiéter l’exécutif. "Le gouvernement a intérêt à ne pas voir cette usine disparaître. C'est la plus grosse usine d'Aquitaine, des milliers d'emplois en dépendent - si on compte l'emploi induit, les sous-traitants, cela tourne autour des 4.000 emplois - et sa fermeture serait un signal politique négatif pour les autorités", a prévenu le délégué CGT de l’usine.

Philippe Poutou pourra compte sur le soutien des élus locaux, et pas des moindres. Le maire Bordeaux et président de la communauté d’agglomération Alain Juppé a rappelé mardi que Ford "ne peut pas se libérer de toutes ses responsabilités. La loi prévoit qu'en cas de cessation d'activité, l'entreprise a l'obligation de trouver un repreneur".