Etats-Unis-UE : vous avez dit "libre-échange" ?

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Alexis Toulon , modifié à
JE T’AIME MOI NON PLUS - Les deux blocs rêvent d’ouvrir en grand leurs marchés respectifs. Mais pas sans protéger leurs entreprises.

Les Européens et les Américains sont les meilleurs amis du monde. Les échanges entre les deux blocs représentent 25% des exportations et 32% des importations globales. A eux deux, ils cumulent la moitié des richesses de la planète. Pourtant, ils n’ont jamais mis en place de véritable accord de libre échange. La venue du président Barack Obama à Bruxelles mercredi devrait être l’occasion de formaliser un protocole de "Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement" ou "TTIP". Son principe : supprimer les droits de douanes et favoriser une convergence des règlementations et normes. Mais de Washington à Bruxelles, les négociateurs ont du mal à s’entendre sur de nombreux points.

Cet accord est un serpent de mer. Une première tentative d’ouvrir les frontières au commerce avait eu lieu dans le cadre de l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement) entre 1995 et 1997. Le projet avait été abandonné face à l’opposition des opinions publiques. Depuis 2011, Etats-Unis et Union européenne réfléchissent à un nouvel accord. Les pourparlers ont officiellement commencé en février 2013 et se poursuivent depuis, un quatrième round ayant eu lieu il y a quelques jours à peine. Il faut dire que les gains économiques ont de quoi attiser l’appétit : Bruxelles chiffre les bénéfices de cet accord à 0,5 point de PIB en plus et deux millions d’emplois, particulièrement dans les TPE et les PME. De quoi inverser la courbe du chômage durablement.

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Jeans Levi’s, iPhone et Dell à prix réduits. Supprimer des droits de douanes, même déjà peu élevés, c’est redonner du pouvoir d’achat. Les produits importés des Etats-Unis verraient leur prix baisser en cas d'accord. Les Américains espèrent notamment rendre leurs produits technologiques, industriels, chimiques et textiles plus compétitifs. Entre le taux de change euro/dollar très favorable aux entreprises et l’abandon des droits de douanes, les iPhone et les jeans Levi’s deviendraient moins chers en France.    

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Mais, la machine industrielle américaine fait peur outre-Atlantique, notamment dans les domaines culturels. La France a ainsi obtenu l’exclusion des services audiovisuels du mandat de négociations de l’accord, bien que les Etats-Unis voient dans l’exception culturelle française une entrave à la libre concurrence.

Du bœuf aux hormones dans nos assiettes ? Autre gros dossier sur la table des négociations : l'agriculture. Les agriculteurs américains nettoient leurs poulets avec du chlore, élèvent les bovins avec des hormones et font pousser du maïs OGM sous licence Monsanto. Mais cette vision de l’agroalimentaire est très éloignée des standards européens et des règles imposées par Bruxelles. Alors, les négociateurs américains tentent de supprimer "les règles sanitaires et phytosanitaires qui ne sont pas basées sur la science". Autrement dit, laissez-nous cultiver et exporter en paix en direction des 500 millions de consommateurs européens.

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A Bruxelles, on tente de tempérer ces ardeurs. Toutefois, dans l’état actuel des négociations, aucune fin de non recevoir n’a été adressée aux Américains. Les négociateurs commerciaux de l’UE et des États-Unis ont préparé "le terrain en vue de propositions écrites en temps voulu", peut-on lire dans les documents de la Commission.

Du "made in Europe" à la Maison-Blanche. L’Amérique aime bien le libre-échange, mais pas à l'intérieur de sa maison. Le système de protectionnisme américain ("Buy American Act") empêche en effet les entreprises européennes de vendre directement au gouvernement américain. Elles se retrouvent donc exclues des marchés publics. Un principe que les négociateurs européens s’attachent à démonter. Ils plaident pour que leurs investissements "soient traités équitablement et sur un pied d’égalité avec ceux des entreprises nationales". Des entreprises comme Saint Gobain, Vinci ou Bouygues ont énormément à gagner à un meilleur accès au marché américain.

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© REUTERS

Les Européens poussent aussi sur la question de l’accès aux marchés des services. Les transporteurs européens, comme la RATP qui opère dans de nombreux pays, espèrent ainsi prendre pied dans les villes de plusieurs millions d’Américains. Washington négocie de son côté durement pour conserver la préférence nationale et réclame une reconnaissance égale de ses entreprises sur les marchés européens et la fin des entraves administratives et techniques.

Le TTIP vendra-t-il les Etats aux multinationales. Plusieurs ONG, comme le Center for International Environmental Law (CIEL) et ClientEarth sur les industriels chimiques, ont déjà pointé du doigt l'influence des lobbies dans les négociations. Toutefois, de sources européennes, les textes négociés permettraient de renforcer la transparence et le cadre juridique existant. En effet, les accords d’investissement dépendent de la loi européenne. Cette dernière dispose "qu’une entreprise ne peut pas obtenir une compensation simplement parce que ses profits ont été réduits par les effets d’une réglementation mise en place dans une objectif de politique publique". Même son de cloche du côté de Washington : les négociateurs américains souhaitent garantir aux Etats le droit d’imposer "des régulations dans l’intérêt de sa population". Mais le Parlement européen devra ouvrir l’œil avant de ratifier l’accord : dans le cadre de l’Alena (Accord de libre échange nord-américain) le Québec avait été condamné à payer 250 millions de dollars à une entreprise pour avoir interdit la fracturation hydraulique.