Croissance : pourquoi le gouvernement est-il si pessimiste ?

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CHIFFRES - La Banque de France a mis à jour ses prévisions de croissance. Une fois de plus, elles sont supérieures à celles du gouvernement.

Mais que se passe-t-il à Bercy ? Une nouvelle fois, une institution reconnue – la Banque de France en l’occurrence – a publié jeudi des prévisions de croissance supérieures à celles du gouvernement. Elle table sur une croissance de 1,2% en 2015, quand Bercy attend 1%. Et ce n’est pas une première : depuis le début de l’année, les chiffres du gouvernement sont systématiquement plus mauvais que ceux d’Eurostat, du FMI ou encore de l’OCDE. Mais pourquoi le gouvernement se montre-t-il si pessimiste ? Et pourquoi ne met-il pas à jour les prévisions officielles de croissance ?

Quand la France se montre (trop) prudente. Pour la Banque de France, la croissance va progressivement accélérer, passant de 1,2% en 2015 à 1,9% en 2017. Un point de vue partagé par la plupart des institutions produisant des statistiques, à l’exception du gouvernement français. Qui, quelle que soit l’année, table sur une croissance inférieure, comme le résume cette infographie :

De sombres prévisions, des discours optimistes. Ce pessimisme ne colle pourtant pas vraiment aux déclarations de certains membres du gouvernement. Dès février, Manuel Valls soulignait ainsi que "les prévisions de croissance de la France ont été confirmées par la Commission européenne : 1% en 2015, et sans doute pourrons-nous faire encore mieux". Une petite musique que Michel Sapin a repris mi-mai en assurant que la croissance serait "à plus de 1% à la fin de l'année" 2015, avant d’ajouter début juin qu’il est "parfaitement possible" que la France atteigne 1,5% fin 2015. Pas plus tard que lundi, François Rebsamen abondait en déclarant que "les chiffres de la croissance sont supérieurs aux prévisions". Sans oublier François Hollande, qui tablerait en coulisses sur une croissance de 1,2 à 1,3% en 2015, comme le révélait Europe 1 début mai. Mais pourquoi le gouvernement continue-t-il alors à tabler sur des chiffres si bas ?

Ces raisons qui expliquent la prudence du gouvernement. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette prudence :

  • Parce que plus personne ne croit aux beaux discours. Si le gouvernement se montre si prudent, c’est d’abord parce qu’il a appris de ces prédécesseurs. Ces derniers ont en effet eu la fâcheuse tendance à enjoliver la situation, avant d’être rattrapés par la réalité. Depuis 2000, la croissance constatée n’a été égale ou supérieure à la prévision du gouvernement qu’à sept reprises. Une fois sur deux, la croissance espérée n’est donc pas au rendez-vous, ce qui ne fait pas sérieux et incite à la modestie.
  • Parce qu’une bonne surprise vaut mieux qu’une déception. Promettre une amélioration de la situation sans être sûr qu’elle va se concrétiser, c’est prendre le risque de décevoir. François Hollande l’a d’ailleurs appris à ses dépens avec la fameuse inversion de la courbe du chômage qui se fait toujours attendre. A l’inverse, être pessimiste a un double avantage : si la situation reste négative, personne n’est déçu et si la situation s’améliore, la bonne surprise n’en est que plus grande. "Au début du mandat, l'exécutif tablait sur des prévisions extrêmement optimistes et cela ne lui a pas vraiment réussi. Maintenant sa stratégie est claire : on minimise, pour donner l'impression d'un succès", abondait Christopher Dembik, économiste chez Saxo Bank, mi-mai sur Europe 1.
  • Parce qu’annoncer la reprise, c’est fragiliser les plans d’économies. Depuis le passage de François Fillon à Matignon, rigueur et austérité sont devenus une valeur cardinale des gouvernements successifs. Sauf qu’une telle politique reste difficile à appliquer, y compris en période de crise. Autant dire que demander des efforts supplémentaires aux Français tout en annonçant un retour de la croissance reviendrait à se compliquer la tâche. 
  • Parce que la reprise ne dépend pas que de la France. Si la situation économique de la France est partie pour s’améliorer, le gouvernement français n’en est pas le seul responsable. Certes, le CICE et le pacte de responsabilité ont permis de réduire le coût du travail et d’améliorer les marges des entreprises. Mais l’accélération de la croissance s’explique aussi et surtout par un contexte bien particulier, marqué par une politique monétaire très active de la Banque central européenne (BCE), des taux d’intérêt historiquement faible et des prix du pétrole au plus bas. Autant de leviers sur lesquels le gouvernement n’a pas la main : une inversion de cette conjoncture n’étant pas à exclure, le gouvernement préfère donc rester prudent.
  • Parce que les Français ne voient pas encore les effets de la croissance. Que la croissance s’élève à la fin de l’année à 1%, 1,2% ou 1,3%, cela ne fait pas beaucoup de différence pour les Français. Ce n’est que lorsque des augmentations salariales et une baisse du chômage seront dans l’air du temps qu’ils percevront une embellie. Or, pour en arriver là, les économistes estiment qu’il faut au minimum 1,5% de croissance. En attendant d’en arriver à un tel niveau, le gouvernement peut raisonnablement rester discret sur le sujet.