Crise : S&P va-t-elle payer la note?

Des juristes vont étudier l'opportunité de procédures contre l'agence de notation Standard and Poor's (S&P) en Europe, après sa condamnation en Australie.
Des juristes vont étudier l'opportunité de procédures contre l'agence de notation Standard and Poor's (S&P) en Europe, après sa condamnation en Australie. © MAXPPP
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L'agence de notation a été condamnée en Australie pour "évaluations trompeuses". Et ailleurs?

Cela pourrait donner des idées à certains. Standard and Poor's a été condamnée lundi par la justice australienne à indemniser des collectivités locales. Et des juristes vont étudier l'opportunité de lancer des procédures contre l'agence de notation en Europe, a-t-on appris mercredi. Ce qu'on lui reproche? Des "évaluations trompeuses".

Les communes et gouvernements locaux du "pays continent" avaient englouti des millions de dollars d’investissements dans des titres très bien notés par l'agence américaine et qui s'étaient effondrés à l'approche de la crise financière de 2008. Pour le tribunal, ces municipalités ont cru que les évaluations de S&P reposaient sur des bases solides, alors que "S&P savait que ce n'était pas vrai". L'agence devra donc rembourser. L'agence risque de devoir rembourser 15 milliards de dollars de pertes aux victimes, plus les frais du procès. Standard and poor's a néanmoins fait appel de la décision, en contestant avoir noté ces produits "de manière inappropriée".

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L'Union européenne saisie de la question dès mercredi

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Peu probable en Europe… pour l'instant. John Walker, lui, croit à une tâche d'huile sur le Vieux-continent. Le directeur de la société qui a financé la plainte collective au pays des kangourous, IMF Australia, a annoncé mercredi qu'il se rendrait dès ce week-end en Europe où deux milliards d'euros de titres risqués ont été souscrits, selon lui, au cours des trois années ayant précédé la crise.

Une plainte au moins serait déposée aux Pays-Bas - pays de la banque ABN AMRO qui vendait les titres - au nom d'investisseurs en Europe. Les procédures envisagées concernent l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et la France, où le principe des plaintes collectives ("class action") n'est toutefois pas reconnu.

"Toutes ces juridictions reconnaissent les concepts de 'devoir de prudence' et de 'présentation déformée'" qui ont valu sa condamnation à S&P en Australie, a déclaré John Walker. Les éléments matériels présentés à la justice australienne, tels que les courriers électroniques d'employés de S&P débattant des notations, peuvent par ailleurs, selon lui, servir devant les tribunaux européens.

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Mais le droit européen en la matière est strict, rappelle le journal Les Échos, ce qui pourrait exposer toute plainte à un flop. "En Europe continentale, il est peu probable que cette décision ait des répercussions : il faut que le plaignant prouve l'existence d'une faute, un préjudice et un lien de causalité", explique le quotidien économique. Reste que le Parlement européen a engagé des discussions avec le Conseil ce mercredi même sur le sujet. Sujet de la discussion : réfléchir à une inversion de la charge de la preuve. Le but : que ce soit à l'agence de prouver qu'elle n'a pas commis de faute dans ses analyses et non au plaignant de démontrer l'inverse.

Dexia, cible à la place des agences?

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© CAPTURE ECRAN BFM TV

Un sujet peu évoqué en France…  À cause de ce droit européen, les agences de notation sont peu pointées du doigt en France. Pourtant, le sujet des emprunts toxiques souscrits aux collectivités territoriales n'en finit plus de faire polémique. Selon un rapport parlementaire de décembre 2011, les collectivités en auraient pour 19 milliards d'euros d'encours toxiques. Pas moins de 5.000 d'entres elles seraient concernées.

Mais comme le lien de causalité est difficile à prouver avec les agences de notation, ce sont les banques qui sont plutôt décriées en France. En 2011, la Commission parlementaire désignée pour plancher sur la question et présidée par l'actuel président de l'Assemblée, Claude Bartolone, expliquait que les banques pouvaient être attaquées en vertu d'une "obligation de conseil et d'information" existant dans le Code monétaire et financier. "Tout établissement financier est tenu d’exécuter les contrats de bonne foi, de manière loyale, professionnelle et transparente, et de communiquer des informations dont le contenu ne soit pas trompeur", précisait leur rapport, visant principalement les banques.

Au final, dans leur rapport de 110 pages, seule une page est consacrée aux agences. Elles sont accusées de n'avoir pas correctement évalué la capacité de remboursement des collectivités. Mais le rapport ne précise pas, contrairement aux banques, si les agences peuvent être attaquées en justice. C'est d'ailleurs contre la banque Dexia, ex-financeur principal des collectivités, que les plaintes se tournent régulièrement dans l'affaire des emprunts toxiques.

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Et ailleurs dans le monde? D'après Les Échos, tous les autres procès intentés dans le passé contre des agences de notation n'ont pas abouti à des condamnations. Et pour cause : ils ont presque tous été engagés aux États-Unis, où les agences de notation bénéficient de règles bienveillantes, selon le quotidien. Comme elles délivrent "de simples opinions", elles brandissent devant les tribunaux le premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit la liberté d'expression. Par ailleurs, aux États-Unis, les plaignants doivent prouver que les agences ont eu l'intention de tromper.

Reste certains pays dont le système juridique ressemble au droit anglais : le Royaume-Uni, le Canada, Hong Kong, ou Singapour. La décision australienne pourrait y faire tâche d'huile, car le droit considère qu'une information peut être trompeuse sans l'avoir été intentionnellement.