Crise en Italie : la zone euro doit-elle s’inquiéter ?

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Carlo Cottarelli a été chargé de former un gouvernement de transition. © Andreas SOLARO / AFP
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Le refus du président italien de valider la composition du gouvernement populiste, fait planer le spectre d’une crise politique et économique susceptible d’impacter toute l’Europe.
ON DÉCRYPTE

Où va l’Italie ? Quatre jours après sa nomination, le chef du gouvernement Giuseppe Conte a renoncé dimanche à exercer son mandat après que le président Sergio Mattarella a mis son veto à la nomination du ministre de l’Économie. Résultat, presque trois mois après les élections législatives, l’Italie se retrouve sans gouvernement et confrontée à une crise politique majeure. Déjà inquiétés par la victoire des partis populistes de la Ligue du Nord et du Mouvement Cinq Étoiles (M5S), les marchés européens craignent redoutent une crise à la grecque. La nomination de Carlo Cottarelli, tenant de l’austérité, comme président du Conseil intérimaire n’offre qu’un répit de courte durée.

Investisseurs inquiets. Sergio Mattarella, président aux pouvoirs limités, a été très clair au moment de justifier son veto. "J’ai tout fait pour favoriser la naissance du gouvernement mais les incertitudes sur notre maintien dans la zone euro ont inquiété les investisseurs italiens et étrangers, mettant en danger l’épargne des entreprises et des familles", a-t-il expliqué après s’être opposé à la nomination de Paolo Savona, un eurosceptique notoire. "La désignation du ministre de l'Économie constitue toujours un message immédiat de confiance ou d'alarme pour les opérateurs économiques et financiers", a appuyé le président.

Le nom de Paolo Savona, fervent opposant à la monnaie unique et partisan, si nécessaire, d’une sortie de l’Italie de la zone euro, avait fait trembler les marchés en fin de semaine. Une réplique, la première secousse ayant eu lieu le 16 mai, lorsque la Ligue du Nord et le M5S avaient présenté une ébauche de programme incluant la sortie de l’euro. Finalement, les deux partis populistes se sont ravisés. Le président Mattarella a ainsi profité de la contradiction entre le programme officiel (sans la sortie de l’euro donc) et les positions affichées de Paolo Savona pour s’opposer à sa nomination.

L’incertitude demeure. Avec ce veto, le président s’est attiré les foudres des partis populistes, certains allant jusqu’à réclamer son "impeachment", mais il a rassuré les investisseurs italiens : à l’ouverture, la bourse de Milan prenait 2%, son allocution de dimanche ayant porté ses fruits. "J'ai demandé pour ce ministère un représentant politique de la majorité cohérent avec l'accord de programme (…) qui ne soit pas vu comme le soutien à une ligne qui pourrait provoquer la sortie inévitable de l'Italie de l'euro", avait précisé Sergio Mattarella.

Un rebond de courte durée puisque dans la journée elle redescendait à son plus bas niveau depuis près d’un an. En effet, l’instabilité politique italienne n’augure rien de bon aux yeux des analystes financiers. "Même si le risque immédiat d'avoir un ministre des Finances eurosceptique a été au moins reporté, les incertitudes italiennes vont continuer à peser lourdement sur l'humeur (des investisseurs) en Italie et - d'une manière moins forte - sur ses voisins de la zone euro dans les prochains mois", estime Holger Schmieding, économiste en chef de la banque allemande Berenberg.

La dette italienne fait peur. Première conséquence concrète : l’euro est en chute libre. Déjà sous pression à cause des tumultes politiques espagnols, il a pris de plein fouet l’instabilité italienne. Lundi, le cours de la monnaie européenne est tombé à son niveau le plus bas depuis six mois, face au dollar (un euro = 1,16 dollars). Mais c’est surtout le long terme qui inquiète les marchés européens, notamment la question de la dette pharaonique de l’Italie qui équivaut à 131,8% du PIB, soit la deuxième dette publique en pourcentage derrière la Grèce (178,6%) mais la première en valeur (2.260 milliards d’euros) devant la France (2.218 milliards).

La dette publique italienne est jugée de "qualité moyenne inférieure" par les principales agences de notation (note BBB, seule l’Espagne est moins bien notée parmi les "grands" pays de la zone euro), signe d’une certaine fragilité en cas de tempête. Or, le programme des partis populistes, en position de force en Italie, est relativement flou sur la gestion de cette dette abyssale : "L'action du gouvernement a pour but une réduction de la dette publique, non par des recettes basées sur l'impôt et l'austérité, des politiques qui se sont révélées incapables d'atteindre leur objectif, mais par la croissance du PIB, par redémarrage de la demande intérieure […] et en créant des conditions favorables aux exportations".

Un répit de courte durée ? Sauf que le reste du programme commun de la Ligue du Nord et du M5S pourrait être très coûteux, plus de 100 milliards d’euros, selon certaines estimations d’économistes, ce qui reviendrait à creuser le déficit public italien et donc plomber encore plus la dette. Pour autant, le spectre d’une crise semblable à celle qu’a connue la Grèce en 2010 n’est pas d’actualité. En effet, la dette italienne a beau être importante, elle reste détenue majoritairement par les entreprises et les ménages italiens, ce qui réduit le risque d’une propagation à toute la zone euro en cas de crise.

De plus, la nomination lundi, comme président du Conseil intérimaire, de Carlo Cottarelli, 64 ans, ancien haut responsable du Fonds monétaire international (FMI) surnommé "M. Ciseaux" pour son rôle dans la réduction des dépenses publiques en 2013-2014, apparaît comme un signe d’apaisement envoyé par l’Italie à la zone euro. Il devrait former un gouvernement de technocrates, comme l’avait fait Mario Monti en 2011, chargé à l’époque de stabiliser le pays en proie à la crise économique et européenne. Mais l’accalmie ne sera que temporaire : de nouvelles élections auront lieu à l’automne ou début 2019 et les partis populistes partent favoris.