Corruption, transparence, lanceur d'alerte, etc. : ce que va changer la loi Sapin 2

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Le ministre des Finances Michel Sapin et le secrétaire d'Etat du Budget, Christian Eckert. © ERIC PIERMONT / AFP
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PRESENTATION - Si le texte défendu par le ministre du Budget est aussi fourre-tout que celui de Myriam El Khomri, il est bien moins polémique.

Le gouvernement ne dispose toujours pas de majorité pour son projet de loi Travail mais cela ne l’empêche pas de passer au dossier suivant, et pas des moindres : la loi Sapin 2. Ce texte de 57 articles, débattu à partir de lundi à l’Assemblée nationale, devrait susciter moins de remous même s'il pourrait bouleverser certains secteurs.

Améliorer la lutte contre la corruption. La lutte contre la corruption en France repose principalement sur la loi Sapin 1 de 1993. Mais à l’époque, ce texte se concentrait surtout sur la corruption sur le territoire national et faisait l’impasse sur les malversations commises à l’étranger par des entreprises françaises. Une lacune que la loi Sapin 2 doit combler en instaurant une agence nationale de prévention et de détection de la corruption. Sa mission sera notamment de vérifier que les entreprises s’adaptent à la création d’un nouveau délit : le délit de corruption d’un agent public à l’étranger.

Les sociétés ayant des activités à l’étranger devront donc mettre en place un règlement interne pour prévenir de telles dérives et la future agence sera chargée de vérifier la pertinence de ces codes de conduite. Et les entreprises qui n’en disposent pas pourront se voir contraindre d’en créer. Le texte prévoit par ailleurs l'instauration d'une procédure de "convention judiciaire d'intérêt public" : en clair, cette transaction pénale permettra aux entreprises mises en cause dans des affaires de corruption à l'étranger de mettre fin aux poursuites pénales en payant une lourde amende et en se soumettant à un programme de contrôle judiciaire. Les magistrats pourront néanmoins écarter cette possibilité selon la gravité des faits reprochés à l’entreprise.

Rendre le lobbying plus transparent. Entreprises, fédérations professionnelles, associations, ONG : les lobbys ont toujours tenté d’influer sur l’élaboration de nouvelles lois. Après un premier tour de vis en 2013, le gouvernement a décidé de les obliger à encore plus de transparence : tous les influenceurs devront s’inscrire dans un registre tenu par la Haute autorité pour la transparence la vie publique (HATVP). Les agents publics ne pourront accepter d’entrer en contact avec un lobbyiste si ce dernier n’est pas inscrit dans le registre. La liste des agents publics concernés s’est d’ailleurs allongée : aux parlementaires et au gouvernement vont s'ajouter leurs collaborateurs, la direction des autorités indépendantes, ainsi que les fonctionnaires des assemblées nationales et de certaines collectivités territoriales.

Les groupes d’influence vont en outre devoir s’adapter à une nouvelle donne. Les cadeaux qu’ils font à leurs interlocuteurs, qu’il s’agisse de cadeaux en nature, de voyages ou d’invitations au restaurant, seront désormais déconseillés. De plus, tout chiffre utilisé pour appuyer leurs arguments devra être justifié et pourra être contrôlé : si les chiffres avancés par un lobby se révèlent être faux, ce dernier sera sanctionné d’une amende.

Faciliter la vie des entrepreneurs... Emmanuel Macron a contribué à l’élaboration de ce texte en y glissant plusieurs réformes. La première concerne les délais de paiement entre entreprises : celles qui ne paient pas dans les temps leurs fournisseurs s’exposeront à des amendes plus élevées et à une plus grande publicité. Le projet de loi réforme aussi le financement des entreprises, de plus en plus compliqué. Ainsi, le livret de développement durable pourra servir à investir dans des entreprises solidaires, tandis que la création de fonds de pension sera encouragée, afin que l’argent de la retraite complémentaire ne serve pas qu’à acheter des obligations et de l’immobilier et soit investi dans les entreprises.

... Au risque d’énerver les artisans. La loi Sapin 2 prévoit deux changements censés faciliter la vie des entrepreneurs, au risque de brusquer les artisans. Ainsi, les auto-entrepreneurs pourront dépasser le plafond autorisé pour leur chiffre d’affaires pendant deux ans, le temps de préparer leur croissance. Ce qui provoque la colère des artisans, qui y voient un coup de pouce en faveur d’un rival bénéficiant déjà de moins de contraintes administratives.

L’autre point est encore plus contesté : pour faciliter la création d’activité, les qualifications requises pour exercer certains métiers pourraient ne plus être obligatoires. Ainsi, un CAP ou un brevet professionnel pourraient ne plus être indispensables pour exercer le métier de coiffeur. Très contesté, ce chapitre risque de disparaître lors de son examen à l’Assemblée nationale.

Protéger les lanceurs d’alerte. Les révélations sur les pratiques des banques HSBC,UBS ou encore Crédit mutuel – CIC n’auraient probablement pas été possibles sans l’action d’employés communément appelés aujourd’hui "lanceurs d’alerte". Sauf qu’aucune la loi ne les protège, ce qui n’incite pas à briser la loi du silence. La loi Sapin 2 prévoit donc de créer un guichet unique vers lequel les lanceurs d’alerte pourront se tourner : l’agence nationale de prévention et de détection de la corruption sera chargée de faire le tri parmi les personnes qui la contactent. Elle pourra également les conseiller et surtout leur apporter une protection juridique, notamment en prenant en charge les frais d’avocats.

Aider Pôle emploi à lutter contre la fraude. Bien que la fraude aux allocations chômage soit limitée - une soixantaine de millions d’euros par an sur un volume total d’environ 30 milliards d’euros -, cette dernière est de  moins en moins tolérée, surtout en période de chômage de masse. Avec la loi Sapin 2, les agents de Pôle emploi chargés de vérifier les cas suspects auront désormais le droit de demander des informations complémentaires aux banques, entreprises et autres organismes publics.

Interdire la publicité pour le trading en ligne. Malgré les alertes de l’Autorité des marchés financiers, les Français continuent de succomber aux sirènes des sites internet promettant de gagner de l’argent facilement en s’improvisant trader. Puisqu’il est impossible d’interdire cette activité, la loi Sapin 2 souhaite agir par un autre biais en interdisant la publicité pour de tels sites.

Et réformer la rémunération des grands patrons. Dernier changement, ajouté via un amendement à la dernière minute suite à l’affaire Ghosn : la loi Sapin 2 devrait rendre contraignant le vote des actionnaires sur la rémunération des dirigeants du CAC 40. Une directive européenne allant dans le même sens est de toute façon prévue pour 2018.